Quand on parle de “fine équipe”, c’est souvent avec un peu de malice et beaucoup de sympathie. On sait que le qualificatif évoque le plus souvent la réunion d’une bande d’individus facétieux, dont les principaux exploits sont plus liés à ceux d’un langage railleur qu’à des actions effectives.
Réunis la plupart du temps par une activité partagée, c’est l’occasion de saisir sur un même lieu toute une série de portraits pour en composer la plus grande diversité. Pas de postures étudiées, photographiés dans des expressions naturelles, c’est à partir d’images collectées depuis quelques années que je me suis décidé à réaliser cette galerie.
La difficulté du travail d’après photo (réalisée sans préparation), se trouve la plupart du temps dans les écarts de qualité qui existent entre les clichés. Visage dans l’ombre possédant peu de détails, à contrejour ou en plein soleil avec une lumière trop forte, absence d’homogénéité de la couleur etc. Il y en a pour tous les goûts et, je dois dire que je n’ai pas cherché à uniformiser les peintures, mais plutôt de traduire au mieux les ambiances lumière/couleur pour chaque photo que j’avais sous les yeux. Au départ, je pensais réaliser deux ou trois portraits, histoire d’entretenir l’œil et la main, un peu comme on fait des gammes au piano pour rester en communion avec son art.
D’une peinture à l’autre, j’ai vite pris goût à la notion de galerie de portraits et pour cela, il m’a fallu dépasser le stade du simple “échauffement”. Contrairement à mon habitude ou je démarre le portrait directement au pinceau et à la couleur, j’ai ici organisé mon travail à travers une procédure simple. Apprêt au Gesso d’un papier toilé Figueras de Canson (sans doute le meilleur), toujours le même format 21×30 cm. Dessin au fusain du sujet et agrandissement au carreau. Les ombres sont portées par zones sur le papier car elles construisent les volumes du visage. J’ai observé que le seul dessin linéaire ne permet pas de positionner correctement un pli, un nez, une paupière etc…Étant donné que le visage est formé d’un ensemble de plans, la ligne n’existe pas en réalité et ce sont les ombrés qui sont les meilleurs indicateurs pour rendre le caractère du personnage.
À l’aide d’un ocre, d’une terre de sienne en mélange avec de l’ocre rouge et beaucoup d’essence de térébenthine, je place les ombres et indique les réserves de lumières. À ce stade, l’ébauche peut paraître peu avantageuse, trop sombre, ou dévaluée, mais elle est surtout un support au placement des valeurs. La peinture doit déjà porter en elle les caractéristiques du modèle, taillées en de larges coups de pinceaux. Je monte progressivement et en même temps, visage, vêtements et fond en faisant attention à ce que les contours du portrait s’incorporent bien au fond en ne paraissant pas découpés à bords vifs. C’est surtout le contraste de la couleur des cheveux par rapport au fond qui demande le plus d’attention. Un léger flouté de passage est à créer lorsque l’huile est encore fluide. La technique “alla prima” (peinture dans le frais ou semi-frais) permet cet effet.
La suite n’est plus qu’un affinement des touches de couleur selon que l’on veuille donner un caractère plus “dur” ou plus “doux” à la peinture. Pour mon compte j’ai toujours trouvé qu’il était plus facile de rendre un portrait en travaillant au pinceau fin pour aller dans les plus petits détails, que de parvenir à donner ressemblance et vérité à un portrait en restant en deça du seuil “lissé”. L’hyperréalisme qui compte se substituer et même dépasser l’image photographique ne présente pour moi pas grand intérêt. Sauf à être une prouesse technique.
Ce que je trouve particulièrement difficile dans le portrait, et qui m’a souvent posé problème, c’est de peindre non pas le premier œil, mais le second. Le premier œil, vient tout seul, d’un simple coup de pinceau…mais, peindre le second, dans l’esprit du premier, dans la bonne valeur, dans l’axe correspondant au précédent est une affaire qui mérite bien des ajustements. Notre regard, parcourant incessamment modèle et peinture s’érode dans sa capacité à percevoir ce qui est juste. La première méthode pour “revivifier” sa vision est de quitter la pièce, de s’occuper un moment à autre chose puis de revenir face à son chevalet avec un œil frais. La deuxième méthode que j’emploie assez facilement, est d’observer la peinture en cours à l’aide d’un miroir. L’image visualisée à l’envers dévoile alors toutes les grossières erreurs que comporte notre travail. Il ne reste plus qu’à corriger. Il n’est pas rare, dans certains de ces portraits, d’avoir repris une bonne douzaine de fois l’œil droit ou le gauche au cours d’une même journée. Bien évidemment, il arrive à un moment de l’évolution du tableau que la modification d’un détail, entraîne la modification plus profonde de toute une zone bien plus large afin de conserver une certaine harmonie. Et par la-même, il ne faut pas hésiter de tout repeindre, de changer la couleur de la peau, de déplacer une bouche qui peu à peu s’était déformée, d’un menton qui descend bien trop bas ou d’un cou qui pénètre maladroitement dans une chemise. Le portrait peu à peu se nourrit de couches successives, des erreurs, des rectifications qui finissent pas donner cette richesse de couleur, de profondeur et vont créer la matière, la peau même du personnage.
J’ai appris que pour donner de la présence à un visage, il ne fallait pas sous-estimer le fond. Un fond sombre ou un fond clair, permettent de détacher la figure facilement. Mais attention à l’effet de découpage. D’autant plus si la coiffure est de tonalité claire sur foncé ou l’inverse. Un fond foncé avec des cheveux bruns n’est pas un sujet facile non plus. Il faut toute la délicatesse d’un Ingres (portraits de la baronne James de Rothschild, de madame Paul-Sigisbert Moitessier) pour réussir de subtiles nuances. Les tons de la figure sont généralement traités dans des couleurs chaudes. Mettre le visage en relief, revient parfois tout simplement en un fond légèrement refroidi par du bleu, du vert, du gris, qui par contraste chaud/froid va créer un effet de profondeur. Les tons chauds ayant tendance à venir en avant, plus proches et les tons froids apparaître plus éloignés.
Enfin, certains portraits, en raison de signes ou de matériels particuliers des individus sont plus compliqués à aborder. Les lunettes aux verres colorés, aux branches qui viennent perturber rides et volumes tout en projetant des ombres parasites sont des épreuves supplémentaires. Bouches entrouvertes qui laissent apparaître les dents, cavité bucale qui n’est jamais un “trou noir”sans aucune nuance, autant de pièges sur lesquels il n’est pas rare de bredouiller. Le dernier portrait, celui de Richard aura été celui sur lequel j’ai cumulé le maximum de difficultés, lumières diverses, lunettes, ombres, bouche et c’est celui auquel je suis le plus attaché. Au final la galerie devrait comporter une vingtaine de portraits. Épinglés sur mon mur, ils forment un grand “photomaton” auquel je jette parfois un regard amusé car certaines expressions valent vraiment la photo.
Très émue de revoir Helen et Bernard qui manquent à l’équipe mais à tant d’autres aussi notamment pour leurs expressions du visage !!!
J’ai apprécié le regard fuyant de Georges que je connais depuis longtemps, respect.
Merci de nous offrir ces portraits car connaissant la plupart d’entre eux, difficile d’y intégrer un peu de leur personnalité profonde car la couche extérieure est bien épaisse.
Bravo pour ce blog car on y apprend aussi sur l’art et pour une enseignante, apprendre c’est aussi à prendre!
Le hasard d’une recherche d’aquarelle sur le Ventoux pour le départ d’un ami m’a conduite sur ce blog. Puis je découvre des têtes connues et là mon mari Jean-Charles me parle de vous et du lien avec l’équipe.
Encore merci pour ce partage d’émotions.
Sophie
Très belle fine équipe ,avec des expressions qui relèvent le climat morose qui nous entoure
Les arrières plans ,comme tu nous l’explique ont une importance qui pourrait nous échappée
Ce qui ressort et c’ est sans doute aussi important que tes qualités de peintre, c’ est ton amour des gens et avec ça on ne peu pas tricher 🙂 super boulot Serge à bientôt !
Quelle belle galerie de personnages ! (ceux qui t’entourent dans ton antre ?)
Vraiment vivants. On imagine une histoire, une personnalité derrière chacun d’eux.
Ils doivent être étonnés et ravis d’avoir été si bien perçus et surtout si bien traités.
Beau travail Serge. Je reviendrai sur ton descriptif pour ce remettre tout cela en tête.
Quelle galerie magnifique !! Superbe travail salué par un non peintre.
merci
Je n’ai reconnu personne mais je suis certain que les portraits figurant dans cette galerie sont si fidèles que les modèles se reconnaitront sans problème et seront fiers d’avoir été sélectionnés par un portraitiste bourré de talent, je suis très frustré de ne pas avoir été sélectionné, mais l’artiste m’a déjà croqué, donc je ne me plains qu’à moitié, en tout cas bravo Serge, quel boulot!!!!!
Le chef d’orchestre Jean-Claude Casadessus a dit :”La liberté passe par la discipline”j’ai fait mienne cette pensée.Tous les grands peintres , sculpteurs ou même écrivains(Vers l’âge de 14 ans Victor Hugo a passé des jours entiers,des mois et peut-être des annéesà s’astreindre à écrire en vers,à la fin de sa vie ,il disait qu’il pouvait parler en versifiant)La liberté que vous avez dans vos dessins et peintures vient peut-être justement de vos études hyperréalistes.Dans votre commentaire vous dîtes qu’il est difficile pour vous de faire le 2e oeil mais on m’a toujours dit qu’il fallait dessiner les 2 yeux en même temps .Vos portraits sont de grandes qualités ,le caractère des personnes ,bien que je ne les connaisse pas, les ombres et les lumières sont bien rendus.Bravo
Quelle galerie de portraits, très vivant.
Petit détail, mais le rendu des verres de lunettes est impressionnant.
Quel talent et quelle maîtrise Serge !
Les détails de l’élaboration de ton travail sont très riches et intéressants à lire.
Un grand merci pour ce partage dont je vais essayer bien modestement de tirer profit.
À bientôt.
Annick