Il y a quelques années au musée Ingres de Montauban j’avais découvert trois ou quatre dessins d’une délicate beauté. Le trait en était fin, précis, de couleur brune et s’harmonisait parfaitement avec un papier jauni par le temps. Une étiquette mentionnait que les dessins avaient été réalisés à la “pointe d’argent”
J’ai fini par comprendre que la “pointe d’argent” était l’outil de prédilection des anciens, bien avant l’apparition des craies ou les pierres comme la sanguine, la pierre noire etc. Le tracé à la pointe d’argent trouve son origine il y a bien longtemps puisque Pline l’Ancien mentionne son usage à Rome parallèlement aux stylets de bois, d’ivoire ou d’os pour écrire sur les tablettes de cire. Il semble qu’au cours des siècles, différents métaux furent employés. L’utilisation de la pointe de plomb se développe principalement au Moyen Âge à travers la réalisation des manuscrits et des nombreuses miniatures. À la Renaissance, c’est l’argent qui aura la faveur d’artistes tels que Léonard de Vinci, Raphaël. Aux Pays-Bas, la technique de la pointe d’argent acquiert ses lettres de noblesse bien avant les maîtres Italiens. Les Florentins privilégient surtout la ligne alors que les Flamands soucieux de réalisme développent le travail du volume par les ombres et les lumières. La technique de la pointe d’argent n’a pas laissé de traces iconographiques significatives en France.
L’Allemagne plus adepte de la gravure et plus proche de la plume, s’intéresse moins à la pointe d’argent. Il nous reste cependant de superbes dessins de Dürer ou de Hans Holbein réalisés avec cette technique. Au cours de l’histoire, des tentatives seront faites avec des pointes d’or et de cuivre. L’or, trop cher est peu utilisé. Le cuivre, trop dur ne procure pas la lisibilité de l’argent ou du plomb. Toutes ces techniques disparaîtront peu à peu, au profit de l’arrivée de la sanguine, de la pierre noire, des craies. Médiums moins exigeants ils sont d’une plus grande praticité et permettent de moduler le trait, de couvrir de plus larges zones, de contraster plus rapidement un sujet.
Il existe aujourd’hui un renouveau de la pointe d’argent. Effet de mode ou besoin de revenir aux fondamentaux classiques. C’est peut-être aussi un rejet de tous ces outils “modernes” faits de plastique aux couleurs vives et l’envie de posséder un outil fait à sa main, un outil de qualité qui demande virtuosité et attention. Le dessin vite fait bien fait n’est pas dans l’esprit de la pointe de métal. Pour dessiner avec cette pointe, il faut avant tout préparer son papier avec une solution que l’on peut acheter ou la réaliser soi-même. Sur un papier non apprêté la trace n’est pas visible. La marque Golden propose un apprêt spécifique “Silverpoint Drawing Ground”. Les puristes auront pour tâche de préparer leur base de cette façon : 1 volume de colle de peau, 1 volume d’eau, 1/2 volume de blanc de lithopone (ou comines)+pigment en poudre ou encre pour colorer l’apprêt. Faire fondre la colle+eau au bain-marie et incorporer la cendre d’os et le blanc par petites touches, remuer et filtrer. Appliquer cette solution en 2 à 3 couches fines et croisées sur un papier (lisse) aquarelle satiné (au moins 300 gr). Une fois l’apprêt bien sec, poncer avec un papier verre très fin. Vous êtes prêts à vous lancer !
Et bien non, il vous faut encore une bonne pointe d’argent. La première solution est de commander auprès d’une grande enseigne de fournitures pour artistes une pointe à la qualité “variable”. Je vous recommande plutôt de vous adresser à des gens spécialisés, artisans ou ateliers qui réalisent à la demande ou utilisent et proposent à la vente ce type de produit. (Adresses en fin d’article)
Il faut savoir que la pointe d’argent ne permet aucun repentir. Le trait doit être direct, car impossible de gommer, de se reprendre d’une quelconque manière. La réalisation des ombres, des valeurs se fait avant tout à l’aide de hachures finement croisées. Commencez votre dessin avec légèreté, douceur et augmentez lentement la pression et le nombre de hachures pour obtenir des valeurs plus fortes. Mais, ne vous attendez pas à produire des zones très foncées, proches d’un grisé comparable à celui d’un crayon graphite. Le dessin général est d’une teinte grise légèrement bleutée et brillante. C’est le temps, son exposition à l’air qui va peu à peu donner à l’œuvre tout son charme. L’argent, va lentement s’oxyder, se foncer et donner cet aspect brun que vous pouvez voir avec vos couverts en argent. Des passionnés, des pinailleurs ou des fous (difficile de les qualifier) ont observé que selon la région, l’environnement écologique ou la météo, l’oxydation s’accomplissait de manière différente. Alors, pourquoi ne pas déplacer ses dessins d’un endroit à l’autre pour obtenir de multiples variations.
Sur un papier apprêté de couleur, il est possible d’enrichir son dessin de rehauts blancs ou de couleur encre, aquarelle etc…comme le faisaient les anciens.
La pointe s’use insensiblement et il convient de lui donner une forme…arrondie, pointue, biseautée selon ce que l’on souhaite faire d’où la nécessité d’avoir sous la main une pierre à huile très fine.
Pointes d’argent :
Mu Bijouterie
10 rue de la République – 58300 Decize
Tel. : 06 89 10 49 70
Site : Mu Bijouterie
Atelier Michaël Greschny
La Maurinié – 81430 Marsal
Tel. : 06 83 78 61 09
Site : Atelier Greschny
Passionnant tout ça, c’ est vraiment très beau , quelle finesse ! Une technique pour des artistes assez expérimentés , encore une fois merci Serge pour ces lignes et ton sens pointu de la pédagogie 🙂 amitiés et à bientôt
Je viens de reprendre la lecture précise de cette technique. Il me semble avoir vu une réalisation de Dürer…Tu trouves toujours de nouvelles créations à tester, à pratiquer. On appelle cela se jeter à l’eau ! C’est une très jolie trouvaille.
Article précis et documenté!
Bonsoir de ce soir, presque tardif, la neige est là, épaisse chez moi, pas pu monter ma voiture tout en haut – les enfants, eux sont très heureux – j’ai lu, mais pas comme il faut, car j’ai sauté des tas de lignes, mais je vais revenir, je reviens souvent sans que vous le sachiez – m’imprégner – mieux comprendre – parfois pas tout – et trop de questions pour Vous – vous me parliez de facebook, le mien a disparu, tout noir ?? … reste le prénom et le nom … à recevoir de tous et de bien loin parfois des e-mails de pourquoi ? comme, celui de ce soir, de Terre Neuve et leur moins 26°, et nous (moi) bien ennuyés par ce temps “français” – oui les modes…. tout passe, et revient – étonnée (toujours étonnée) d’une adresse “bijouterie” à bientôt de vous lire – car, çà aussi Vous le faites si bien (écrire) et moi j’adore Lire ! – Cathy
Très intéressant,je ne connaissais pas son histoire.Aimant beaucoup le dessin il me serait difficile de l’utiliser ,n’ayant pas le trait sûr.Dommage cette technique est si belle.
Merci Serge de porter à notre connaissance tous ces faits historiques.
françoise
Étonnant ; rendus très beaux avec un jeu d’ombres,de détails et des traits d’une finesse !
J’aime beaucoup les représentations de Jeannine Cook
C’ est un véritable plaisir de découvrir
Merci Serge
J’en apprends beaucoup sur le dessin avec toi. Ton article est intéressant.
As-tu tenté cette technique ?