Les chiens glapissent d’impatience, tout fébriles qu’ils sont de poursuivre la chasse. Sitôt les cages ouvertes, ils se ruent dans le bois en désordre tout d’abord, puis se mettent en ligne sur une trace. Nul besoin au piqueur de les motiver. Mus par un puissant instinct de traque, ils filent en aboyant sans discontinuer.
— Ça part vite ! Me dit Georges.
Appuyés contre la voiture, nous restons quelques instants à écouter les chiens s’éloigner. La scène de ce matin semble se renouveler à l’identique. Pourtant, si les phases de chasse sont toujours les mêmes, leur résultat est systématiquement inattendu. Car l’animal sauvage est imprévisible et malgré la connaissance que l’on puisse avoir sur son espèce, certains individus semblent posséder un caractère tout particulier. Autant chassé depuis la nuit des temps, le sanglier finit lui aussi par connaître et les chiens et les chasseurs. Un animal adulte est capable, selon le chemin qu’emprunte les chiens au départ, de savoir si ceux-ci viennent vers lui ou pas. Dans un cas ou dans l’autre, ils sortira ou ne sortira pas de sa remise. Dans bien des situations, le sanglier aura facilement un quart d’heure à vingt minutes d’avance sur ses poursuivants. Malin, il est capable de se mettre sur la piste d’un chevreuil et ainsi de faire dévier les chiens de leur objectif. Le chevreuil devenant la proie non convoitée.
Toujours à l’attention des aboiements, Georges tend soudain le bras suivant à distance l’avancée des chiens.
— S’ils montent par là, on va entendre tirer.
— Tu m’as déjà dit ça tout à l’heure et tu sais bien qu’on n’a rien entendu !
— Oui, mais cette fois, c’est sûr, ça va péter !
Quelques minutes plus tard effectivement, un claquement sec déchire la forêt et résonne dans la pente.
— C’est une carabine. C’est sûrement Jani qui a tiré.
Georges porte la main à sa poche intérieure.
— Merde, c’est le téléphone, j’avais mis le vibreur. Qui c’est qui m’appelle encore ? Oui ! Qui c’est qui a tiré ? C’est pas Jani ?
Tout le monde semble s’interroger. Sanglier tué ou pas ? Et les chiens. Si c’est un sanglier seulement blessé au ferme, il faut vite arrêter les chiens. Ils risquent de se faire massacrer.
— On va monter voir.
Le moteur du Lada n’a jamais le temps de refroidir complètement, sollicité en permanence il faut remercier le matériel russe et vanter sa rusticité. C’est reparti et je m’accroche.
Arrivé au plus haut, vers la ligne de tir, nous retrouvons Paul et Gérard sans les chiens. En grande conversation avec Paul, Gérard attire toute l’attention sur lui, c’est le démonstratif de l’équipe, le volubile qui d’une simple anecdote en tire toute une histoire.
— Oh ! D’ici au cèdre, d’ici au cèdre, les chiens ils sortent comme ça ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire de fous. Oh, il était pas arrêté devant moi ? (le sanglier)
— Con ! (étonnement partagé de Paul)
— Putain, il m’a sorti…impossible d’y envoyer le pruneau.
— Et bé ! (Paul compatissant)
Georges est de nouveau au téléphone, préoccupé qu’il est de savoir qui a tiré.
— Je vais essayer d’appeler Pierre. Allez !
Gérard intervient.
— Moi j’appelle Guy pour voir.
— Non, mais c’est pas Guy, Richard il dit que…
—Non, je sais très bien que…Non ! Non ! Mais, c’est Pierre !
Si c’est lui, il est là… Où il est ?
— Ben, il est à la “Russe”. (nom d’un emplacement)
— Et bé, c’est lui qui a tiré. C’est sûr.
— Oui ! Oui ! Ça venait d’en bas. (Paul rassurant)
— Non ! Non ! Oui, ça c’est sûr !
— Ça peut être de Flassan…(autre équipe de chasse dans le secteur)
— Non, non, non, non ! C’est quand tu as…Après là…je suis parti en courant justement au bord du rocher d’Élen pour voir s’il n’en arrivait pas d’autres. Est-ce qu’ils montaient, est-ce qu’ils descendaient, je n’en sais rien.
— Et ouais ! (Paul en conclusion, fataliste)
Finalement, Pierre n’aura pas tiré ni vu quoi que ce soit, Richard non plus ni Guy, et c’est Rémy qui aura les félicitations de l’équipe. Les chiens ont tourné quelques minutes autour du sanglier mort en le mordillant comme une récompense à leur longue course. Épuisés, ils réintègrent le coffre de la voiture où une bonne gamelle d’eau fraîche les attend. Extrait d’un massif de buis le sanglier abattu est chargé sur le plateau d’une voiture. Pour rendre les honneurs à la bête noire, Georges coupe une petite branche de verdure et l’insère dans sa gueule. La mort de l’animal signe aussi la fin de la chasse. Il y a là quelque chose de tragique. Comment faire prolonger un moment d’intense émotion fait d’attente, de mystère, d’incertitude et d’envisager par la simple pression sur une gâchette d’en effacer toute la magie. Les plus belles chasses, ne sont-elles pas celles qui ne finissent jamais par la mort de l’animal en se perpétuant dans le temps et l’imaginaire ?
(A suivre)
Pour vivre quelques dialogues (avec l’accent) cliquez sur l’image ci-dessous.
Bientôt le dernier volet de cette partie de chasse. C’est vrai qu’avec la vidéo, ça crée plus vite un lien avec les personnages. Et puis, je ne pouvais pas faire l’impasse sur l’accent, qui est si agréable ;-))
On est toujours complice de ton récit , on a l’ impression maintenant de connaitre ces personnages , heureusement il y a encore 1,
à suivre .)
J’ai encore un article à passer, après j’arrête. J’aurai pu faire l’écorchage (tu connais bien ça aussi)…C’est un moment particulier. Quand c’est fait en groupe c’est assez convivial. Mais pour les âmes sensibles sur internet, je préfère éviter.
…C’est bientôt la fin. Il y aurait encore beaucoup à développer, mais je ne peux pas raire que ça. Ça me prend beaucoup de temps au détriment d’autres choses.
Salut Serge
Très captivant ton récit
Je très impatient de la suite de cette serie
Et j’en raconte tes extraits a mon ami de ONF
super!!