Le territoire de chasse de l’équipe occupe 300 hectares. Il est bordé d’un côté par la départementale qui monte au mont Ventoux et de l’autre par la combe de Canaud qui marque les limites de chasse de la ville voisine. Quelques mauvais chemins quadrillent les pentes et dessinent des transversales claires. Rien ici n’invite l’homme à s’y sentir à l’aise. Dans ce milieu asséché, même en hiver, fait de mille pierres instables et à la végétation impénétrable, les sangliers prolifèrent et y sont les plus heureux. Les buis forment une muraille verte impénétrable. Dans cette forêt épaisse ils s’y cachent, s’y déplacent à la barbe des chiens pourrait t’on dire, bien mieux que les cerfs tout empruntés qu’ils sont avec leur grande ramure. Il arrive bien souvent que devant les chiens, la bête noire ne veuille pas se lever et les affronte avec courage. Dans cette situation, au ferme, un sanglier bien armé devient très dangereux. Tout au long de sa vie, lorsque l’animal ouvre et ferme la gueule ses défenses s’aiguisent en permanence sur les grès (canines supérieures). Véritables lames de rasoir elles occasionnent des blessures parfois mortelles aux chiens. Ce matin, le chef de battue a défini une ligne là-bas, bien au-dessus de nous, le long d’un chemin et à la lisière de grands cèdres. La dizaine de chasseurs y est déjà postée depuis au moins une heure. Les chiens toujours en verve, paraissent monter rapidement vers eux. La passion de Georges, c’est avant tout la chasse au sanglier, mais son plus grand plaisir, c’est d’entendre ses chiens suivre une bonne piste en aboyant. Nous tendons l’oreille pour mieux apprécier la grosse voix caractéristique d’Éliott. C’est souvent lui qui précède les autres chiens. Leur course se dirige vers un point identifié sur la carte.
— La “Bosse” ! Claude y est placé. Si ça passe là, on va entendre tirer dans peu de temps.
Et on attend. Un peu. Puis finalement un peu trop. Rien ne se passe, pas de détonation. Finalement, les chiens au dernier moment ont fait demi tour avant de franchir le chemin et d’arriver au chasseur posté.
— Les chiens reviennent. Ils n’ont pas sauté le chemin. Je le vois sur mon cadran.
— Le sanglier a dû sentir le posté. Et puis si ça se trouve, il a tellement d’avance sur les chiens, qu’ils ont perdu la trace. Quand ça bifurque trop comme ça, c’est parfois mauvais signe. C’est peut-être tout simplement un chevreuil qui est devant. On va monter voir Claude. Allez, on bouge !
On saute dans le Lada. Juste le temps de claquer la portière et c’est parti à fond. Enfin, presque à fond. Surtout en fonction des trous, des racines et des pierres qui entravent le chemin et font sauter le véhicule en tout sens. Afin de ne pas perdre la position des chiens, je dois changer la petite antenne du GPS par l’antenne extérieure. Pas facile de réaliser le branchement quand sur chaque bosse, le Lada fait un bond de cinquante cm. Les ceintures de sécurité sont là pour l’apparat. Il faut faire corps avec les secousses. Le moteur ronfle, ça accroche sous le plancher, ça cogne derrière, ça tape devant. Les branches nettoient la carrosserie, flagellent le pare-brise et les rétroviseurs passent à un cm des arbres. Les bruits viennent de partout. Et pourtant dans ce vacarme confus, Georges est encore capable de me dire :
— Tiens, je n’avais pas ce petit bruit ce matin !
Crise de rire !
Sur une partie plus calme, je parviens enfin à connecter la fiche mâle et femelle de l’antenne au GPS. Je retrouve le tracé des chiens.
En trombe, on arrive sur le premier posté. Moteur en route, Georges s’enquiert :
— Tu as vu quelque chose ?
— Moi, j’ai vu seulement passer les chiens. Ils aboyaient bien !
— Et tu n’as pas vu ce qu’il y avait devant ?
— Non, j’ai rien vu.
On repart. En remontant le chemin on fait la revue des chasseurs. Celui-ci a bien entendu les chiens, celui-là ne sait pas trop et tel autre a déjà quitté son emplacement.
Au poste de Claude, nous retrouvons Gérard le piqueur, complètement trempé et hors d’haleine. Mener les chiens dans ce terrain et cette végétation est une épreuve plus que sportive.
— Claude, qu’est-ce qui est monté vers toi ?
— Ah ! Je pense que c’est un sanglier. Les chiens sont venus jusque là. Ils menaient bien. Ils sont restés un moment à tourner devant, puis, ils ont fait demi-tour et ont repris la pente.
— De toute façon, les chiens n’aboient plus. Ils ont perdu la trace, c’est sûr. On va essayer de les arrêter et de les relancer.
Sitôt dit, sitôt fait. On saute dans le Lada, Georges, Gérard et moi. On détale au plus vite pour intercepter les chiens. De nouveau à trois devant, c’est maintenant Gérard qui se colle à la mauvaise place. Le GPS m’indique que les chiens, pour une fois ensemble, vont bientôt traverser le chemin sur lequel nous sommes.
— À combien ? Me demande Georges !
— Cent mètres devant. Ils arrivent sur la droite. Fonce, sinon on va les rater !
Dans la longue ligne droite en descente, devant nous apparaissent museau à ras de terre, un à un les quatre chiens. Ils furètent un peu à droite, puis à gauche comme pour retrouver une piste. La voiture est sur eux. Vite, s’éjecter et les accrocher par le collier avant qu’ils ne continuent leur course en sous-bois. Lorsqu’un chien chasse, tout à son affaire, il est impossible de l’arrêter ou de le faire revenir malgré les multiples appels. Nous avons de la chance. Ils ont perdu le pied et se laissent saisir sans problème. Les cages aménagées dans le coffre sont rouvertes et les chiens hissés dedans. En examinant le tracé sur le GPS, nous repérons l’endroit où le sanglier a dû sauter le chemin. Nous allons relancer les chiens de cet endroit.
(À suivre)
Serge bientôt opérationnel pour les safaris africains 🙂
Salut Olivier, mais en fait j’ai pris beaucoup de plaisir à raconter cette histoire de chasse. Ça m’a permis de revivre encore de bons moments, car j’ai fait beaucoup de petits films que je me suis repassés pour avoir le simarres et le son…toujours sympa !
C’est sûr que je me suis donné du mal pour bien les représenter. Comme ce ne sont pas des “chasseurs fous”, ils sont très raisonnables (l’âge aussi y fait) ça valait la peine de prendre le temps de réaliser ce reportage. C’est aussi une tradition, une culture que je sens en voie de disparition…
A mon avis jamais partie de chasse n’a été aussi bien décrite…..un vrai thriller.
Sans doute la première fois que tes amis chasseurs sont mis en scène de cette façon …..
Quelle stratégie ….
Le mérite de cette chasse , ce sont tes mots qui en découlent et cette nouvelle bien agréable à lire 😉
Chez nous c’est la même chose, pour attraper les chiens c’est la galère, surtout au sanglier (mais les chemins sont plus faciles).
A bientôt.