Voilà, c’est décidé aujourd’hui nous partons sur les traces de mon enfance. Retour vers le passé. Direction la Normandie, le Calvados et plus précisément à Ussy, le petit village où je suis né. C’était il y a 64 ans, un peu après la dernière guerre.
Mes parents à cette époque ne possédaient pas de voiture, faute de quoi et malgré le fait que l’hôpital de Falaise ne soit qu’à 12 km, je suis venu au monde à la maison. Ussy est un petit “bourg” qui compte à peine moins de 900 habitants. Il me restait de bons souvenirs visuels du lieu de ma naissance. Évidemment, je ne m’attendais pas à retrouver intact un endroit qui déjà dans ma petite enfance me semblait insalubre. La maison m’avait laissé une impression d’obscurité, d’un manque de lumière, et d’étroitesse.
La cour en bordure de route où je jouais et qui faisait si peur à ma mère, était toujours là, l’ensemble des maisons aussi. Ma surprise venait surtout de l’enseigne qui chapeautait “ma maison”. Infini’Tif, salon de beauté-coiffure mixte, le tout dans un joli rose “fillette”, ambiance couleur “Barbie”. À force de fouiner dans cette cour, la fenêtre du salon à “tifs” s’ouvrit.
— Vous cherchez quelqu’un ? Une charmante jeune femme, sans doute la coiffeuse en chef, toute souriante nous interpelait.
— Euh ! Non, je suis né ici ! Juste là, ou vous vous trouvez !
Grand sourire de la coiffeuse un peu confuse. Je pensais recueillir quelques renseignements concernant l’habitation, un peu d’historique en quelque sorte. Mais devant l’âge de la jeune femme, j’ai vite compris que pour l’histoire il me faudrait repasser. La fenêtre toute neuve en PVC imitation bois, s’est refermée. Ma femme et moi, nous sommes restés seuls à arpenter la cour. Ce qui me paraissait gigantesque, là ou je courais autrefois, se traversait désormais en deux enjambées. Entre les maisons, une allée humide, conduisait au fond vers un espace d’herbe, un ancien jardin abandonné. Un moineau mort gisait au sol. Sur la porte de la vieille grange, où se trouvait jadis un puits, une pancarte mettait en garde : “Défense d’entrer, danger de mort”.
Ce bâtiment appartenait à un vieux monsieur auquel je rendais visite de temps en temps. Je me souviens de ce jour ou par une belle journée d’été, je tirais la porte derrière moi et là, au frais je dégustais quelques cerises ou prunes en sa compagnie. Ma mère me cherchait, m’appelait, craignant déjà l’irrémédiable, me voyant déjà disparu, mort ou je ne sais quoi. Dans le sombre de ma cachette avais-je entendu ses appels ou les avais-je occultés volontairement. Je ne saurais le dire ! Mais ce dont je me souviens c’est de la correction que mon père m’infligea ce soir-là.
Mon père avait décidé de quitter la location d’Ussy trop petite et de construire lui-même sa propre maison à Potigny, une petite ville minière à proximité. Le courage ne lui manquait pas, il avait une volonté farouche d’améliorer notre vie familiale. Il acheta un terrain, et entreprit de dessiner les plans de la maison de ses rêves. Enfin, une maison bien simple, un cube sans fioriture, à la mesure de ce qu’un simple ouvrier était capable de réaliser seul. Lorsque les beaux jours arrivaient, mon père, après son travail de la journée, partait en vélo pour faire avancer son rêve. Je l’accompagnais souvent, jugé sur ses épaules. Je me cramponnais à ses cheveux tout au long des 4 ou 5 km que durait le voyage sur les chemins de campagne.
Je voulais revoir encore une fois cette petite maison dans laquelle j’avais vécu mon enfance en compagnie de mes sœurs et de mon frère. Il me fallait connaître le propriétaire qui occupait désormais la maison que mon père avait construit. Nous étions bien ce 5 juillet 2013 à Potigny, sous un soleil de plomb. La ville avait un peu changé depuis mon dernier passage qui datait de plusieurs années. Des drapeaux ondulaient nonchalamment dans l’attente d’une imminente fête franco-polonaise. Un magasin Super U en bordure de la route principale avait remplacé les jardinets qui existaitent là autrefois. La rue de la cité des “Polonais”, rue de la Libération, parallèle à celle où nous avions notre petite maison, était désormais goudronnée. Des voitures s’alignaient tristement devant les portes d’entrée de chaque logement. J’avais connu cette artère animée de nos cris d’enfants lorsque nous y jouions. En remontant cette rue, sur le pas d’une porte une femme et un homme en polo bleu, portant lunettes, étaient en pleine conversation. Nous nous sommes salués poliment.
— Connaissez-vous le propriétaire de la petite maison d’en face ?
La conversation s’engagea. Il ne fallut pas longtemps pour nous découvrir bien des souvenirs communs. Nous évoquâmes nos excursions dans la campagne environnante, les bandes que nous formions au gré des amitiés, les batailles au lance-pierres. Gamins, nous avions une fâcheuse tendance à poursuivre inlassablement les “amoureux” jusqu’au plus profond des sous-bois. Nous étions de véritables teignes.
Avec Henriette T. et Gérard J,. nous avons rappelé la mémoire de quelques-uns de nos amis communs. Certains s’en étaient allés, vaincus par la maladie. Daniel, mon copain polonais, une tête de plus que moi, une force de la nature. C’est lui qui avait glissé la première cigarette dans ma main. C’est sans doute aussi cette cigarette qui l’aura accompagné toute sa vie et qui lui aura rongé la santé. Il me fallait poursuivre ma visite et abandonner là mes amis d’antan. En trois pas je fus devant le portail du pavillon. Ma petite maison, ne s’enorgueillissait pas d’une adresse prestigieuse. Elle n’avait nul droit à une avenue, pas même à une rue, ni même à une allée. Non, simplement celle d’une sente. La sente Angot. Quel joli nom ne trouvez-vous pas ?
C’est un nom qui chante, même mieux un nom qui danse…la San Tango ! Mais pourquoi avoir là aussi, goudronné ce chemin autefois bordée de jardins et de cerisiers ! De la haute haie émergeait à peine un toit de tuiles rouges. Je sonnai. Un petit monsieur à l’air “bonhomme” vint m’ouvrir.
— Bonjour Monsieur, c’est mon père qui a construit cette maison et… Bla, bla et bla… De la surprise, de la méfiance bien naturelle chez Monsieur Claude P. Et puis, de fil en aiguille, je suis là dans le jardin à admirer ses plantations. Un jardin remarquablement bien entretenu. Les cerisiers dans lesquels je grimpais pour me “goinfrer” de bigarreaux, avaient disparu. Une question en amenant une autre, Monsieur Pichon nous invita à visiter sa maison.
Il tint à me montrer de quelle magnifique façon il l’avait aménagée selon ses besoins. Il me vante les qualités de construction du pavillon, sans le savoir il fait l’éloge de mon père. Claude P. parle de solidité, de charpente toujours d’origine, et c’est mon père que je revois, avec sa force, son courage, sa tendresse. Je caresse les murs doucement. C’est lui que je caresse. Il est là ! Je le sens dans ces pierres, dans ces murs de béton construits avec toute la droiture qui le distinguait. Je revois la chambre de mes sœurs, celle de mes parents. La chambre que je partageais avec mon frère est devenue un salon/salle à manger. Autrefois, il n’y avait qu’une petite cuisine dans laquelle nous mangions tous les six, réunis autour d’une cuisinière à charbon pour tout chauffage. Le propriétaire est sympathique et volubile. Il me montre tout, ouvre devant nous les tiroirs de ses meubles pour retrouver les actes de vente de la maison. Dans les papiers jaunis, je découvre les paraphes et la signature malhabile de mon père. L’émotion est là. Les images de sa présence reviennent avec force. Les images de l’enfance aussi, celle d’un bonheur aujourd’hui consommé. La disparition d’un être cher, creuse un sillon de tristesse que l’affairement nous fait oublier mais qui ne se referme jamais.
Le temps passe. La conversation avec Claude P. flotte de plus en plus. Le moment magique est passé. Je sens que nous nous sommes dit tout ce que nous pouvions nous dire. Je ne veux pas abuser de la gentillesse de mon hôte. Prolonger ma visite plus longtemps ne servirait à rien. Je tente difficilement de prendre congé. Sur le perron Claude P. me serre la main et me dit chaleureusement :
— La prochaine fois, n’hésitez pas, venez à “l’heure intelligente”comme on dit chez nous !
— L’heure intelligente ?
— Oui, vous comprenez bien, c’est l’heure de l’apéritif ! me précise t-il un sourire amusé aux lèvres.
On ne fait pas une promesse en l’air aux Normands et aux Polonais, la prochaine fois je viendrai à “l’heure intelligente” et on rafraîchira encore je l’espère, quelques bons souvenirs de notre enfance.
Oui, très émouvant ce retour vers les origines de l’enfance”…….on se projette forcément…..même si nos propres démarches se situent dans d’autres lieux, dans d’autres contextes. On a tous, à un moment donné, un peu “le mal d’enfance”. Et d’ailleurs, si l’on retrouve intact ou presque, les endroits ou l’on a vécu, on l’on a eu des émotions, c’est un peu un décor vide de sa substance. Puisqu’il n’y a plus souvent, nos proches partis sous d’autres cieux. Les prunes n’auront jamais plus la même saveur.
Pas facile de faire un voyage dans le temps comme celui ci, face au temps qui petit à petit nous mange , retrouver les traces de sa jeunesse et les visages de son passé , criser profondément les ombres de ces proches que l’ on a tant aimé, mélange de plaisirs et de souffrances…..
Un témoignage plein de tendresse que l’ on partage et qui démontre aussi, que la photo- image n’ est rien sans une écriture intérieurs forte …..
Salut Serge
J’ai encore des frissons à la lecture de ton récit d’enfance….
Oulala … Que d’émotion
Bravo pour ce beau reportage
Nous partageons avec toi toutes les émotions que tu as ressenties lors de ton pèlerinage dans ton village natal et surtout de la visite de votre première maison.
Comme tu le dis dans ce magnifique reportage nos parents n’avaient pas de
voiture. Dans le cas contraire, peut être serions nous venus découvrir la maison de Tonton et Tatie qui sur les photos semble bien coquette et bien entetenue.
La bise.
un reportage magnifique ! plein d’émotions !
Je m’en vais revoir ma Normandie dit la chanson et là on est vraiment dans la situation,çà fait du bien de se retourner sur son passé,,joli voyage !