Incursion en Défensie

Au centre du Parvis à l'heure de pointe, la marchande de journaux est un véritable repère visuel.

Au centre du Parvis à l’heure de pointe, la marchande de journaux est un véritable repère visuel.

Je dois vous faire une confidence. J’ai le vice dans la peau !

Si, si ! Vous ne savez pas de quoi je suis capable. Tenez par exemple, pour savourer mon temps libre – oui, j’ai parfois besoin de tester ma quiétude, de la confronter au monde agité – il m’arrive donc, comme aujourd’hui de faire une incursion dans des lieux qui furent autrefois pour moi synonymes de cauchemars. Pensez donc, moi qui suis né dans la campagne Normande, le nez dans l’herbe et qui ne songe qu’à une seule chose sitôt le pied posé à terre le matin : “Vais-je pouvoir me faire une petite promenade dans les bois, cueillir quelques violettes ? Je sais, je suis un peu fleur bleue !

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On peut être nostalgique du passé ou pas…

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La lumière d’un beau matin de printemps sur l’Esplanade.

La Défense ! Une île de béton et de verre. Un univers de travail concentrationnaire comme il n’en existe aucun autre en France. Du moins de cette taille là. Je vous entend déjà, “Oui, mais la Défense c’est aussi un immense centre commercial, pourvu de tout ce qu’il faut pour les loisirs et patati et patata…”
C’est vrai et cette Défense dédiée aux affaires en surface et au commerce en sous-sol a su se rendre intelligente. Tout ce qui est gagné au-dessus est dépensé après coup dans ses entrailles. Donné d’une main, repris de l’autre. La boucle est bouclée ! Mais, vous me faites dévier de mon propos. Je voulais surtout vous parler du plaisir que je prends, par une belle matinée de printemps à déambuler au milieu des tours, à observer tous ces gens qui filent droit, le nez dans leurs chaussures, le regard fixé sur une ligne imaginaire, qui n’est ni bleue ni des Vosges, les oreilles casquées, la bouche cousue et forment des bataillons à l’image d’un fleuve, arrivent en un flot puissant pour peu à peu se diviser en une multitude de filets au gré du parcours. Happés peu à peu jusqu’à complète disparition et dans le silence le plus total, par des tours aux corps translucides.

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Une tête décervelée. Un symbole ?

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Être indifférent à la foule. Le sentiment aussi d’être “presque seul”.

Ne croyez pas que j’ai la moindre déconsidération pour cette foule silencieuse. J’imagine tous ces actifs, salariés, employés, encore dans leurs rêves, dans la douceur de leur foyer, côtoyer sur les mêmes dalles et dans les mêmes courants d’air, le grand cadre ou le petit chef, qui tout à l’heure, dans le même bureau, affirmera sa supériorité hiérarchique. La plupart viennent de loin, et ont passé de longs moments inconfortables dans les transports en communs. Ceux là, on les reconnaît au livre qu’ils tiennent encore en main. Une manière enrichissante durant le trajet de ne pas voir le morne paysage de banlieue défiler à travers les fenêtres “cradingues” du métro ou du R.E.R.

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Le naturel en perdition.

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Au bout du chemin, une vue admirable sur le Parvis.

Des cyclistes ont trouvé des voies secrètes qui permettent d’accéder sans problème au Parvis et le traversent en tous sens aveuglés par l’obsession de leur arrivée. Et puis, parmi tout ce grouillement de petits êtres qui vont dans un sens et dans l’autre, en cherchant à ne jamais se télescoper, il y a des “Robinson”. Des solitaires, qui attendent. Quelques inquiets qui cherchent, qui tournent en rond, qui interpellent “un” parmi la masse sans obtenir la bonne réponse. Ils vont là, retournent, errent un peu et puis renoncent. Des isolés s’enfoncent dans de sombres passages souterrains comme pour se cacher de la lumière bleutée des tours qui les dominent ou…pour échapper peut-être aux nombreuses caméras qui scrutent en permance les agissements du petit peuple.

Une errance au milieu des tours.

Une errance au milieu des tours.

Il faut que je vous raconte…Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais, il m’est souvent arrivé d’imaginer l’existence d’un monde parallèle sous la dalle de la Défense. Je sens que ça vous fait…un peu sourire ! Et alors, les portes blindées cadenassées vous croyez qu’elles ouvrent sur quoi ? Un dédale de galeries techniques, des centaines de boyaux qui communiquent entre-eux, qu’il faut gravir par des échelons parfois glissants. Des kilomètres de tuyaux et de câbles assurent l’eau, le téléphone, l’électricité des milliers de bureaux, des commerces et serpentent dans les profondeurs. D’immenses souffleries posées dans des salles grandes comme des terrains de tennis, assurent le désenfumage des parkings. Il y a plus de 250 souffleries disséminées dans les sous-sols. Ça vous étonne ? Et pourtant, je vais à l’essentiel ! Continuez d’imaginer. Sous l’esplanade se trouvent de grandes cavités appelées “volumes résiduels”. C’est du vide non exploité ou presque. Dans l’une de ses cavernes modernes une ouverture laisse entrevoir le socle de la statue de Louis Ernest Barrias qui a donné son nom au quartier situé juste au-dessus, à l’air libre. Dans ces espaces, le temps a figé une épaisse poussière qui forme un tapis insonorisant des bruits extérieurs. Tous ces repaires interdits au public gardent dans leur profondeur de véritables trésors. Le Fonds International d’Art Contemporain possède un entrepôt de 4 500 mètres carrés où sont conservées près 20 000 œuvres d’art. Un autre volume abrite l’ancien atelier de 1 000 mètres carrés du plasticien Raymond Moretti. La sculpture monumentale d’un dragon de 30 mètres de long y est abandonnée. Par l’un des parkings des Quatre Temps, une trappe discrète ouvre sur une curiosité monumentale. Il s’agit d’une gare RER inachevée de 200 mètres que l’armée a utilisée quelques années comme centre d’entraînement au tir. (source Le Point.fr)

La descente vers une caverne urbaine ?

La descente vers une caverne urbaine ?

Alors, convaincus tout comme moi “qu’on ne sait rien sur tout” ! Et puis ces gens qui courent depuis ce matin vers leurs bureaux transparents, ont-ils connaissance de ce qui dort sous leurs pas. Tous ces gens que j’ai croisés ce matin, dont les visages se fondent peu à peu sous mes yeux dans une seule et même identité rêvent-ils d’un monde parallèle qui les ferait échapper à leur quotidien de surface. Peut-être ! En rangeant mon compact photo dans la poche je me sens finalement soulagé de ne plus faire partie de ce monde actif, un peu fou, et très flou. Courage ! Le temps du vieillissement, se nourrit d’humanité.

Comme un dessin d’enfant

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais j’ai toujours un sentiment partagé lors de la disparition ou de la rénovation des vieux quartiers dans une ville en pleine urbanisation.

Quelques maisons au pied des grandes tours.

Quelques maisons au pied des grandes tours.

La présence de quelques vieilles maisons nichées au pied de tours m’évoquent toujours ces batailles épiques que mènent certains petits résidents face aux grands promoteurs. Connaissez-vous le dessin animé “Là-haut”. Un petit pavillon de banlieue, cerné de toutes parts de tours en construction. Un grand-père bougon, solitaire et malheureux finit par s’envoler avec un enfant en accrochant sa maison à une multitude de ballons multicolores. Les histoires du “petit” contre “le géant”, de “l’ancien” contre “le moderne” font sans doute partie des conventions que l’on aime se raconter à tout âge. Ici, on sent le combat perdu d’avance. Inexorablement, les tours aux grands pieds avancent. Avec leurs façades de verre aux reflets gris acier, elles surplombent de leur superbe la misérable masure qui ose encore profiter de leur ombre. Demandez à un enfant de vous dessiner une maison. Il la dessinera comme l’une de celles-ci. Avec deux fenêtres, et une porte placée bien entre les deux fenêtres. Il tracera un toit à deux pentes en tuiles orange. Rien ne ressemble plus à un visage que le dessin d’une maison réalisé par un enfant. Les fenêtres sont des yeux, la porte est un nez et le toit forme la coiffure. Examinez la couleur des façades. Elles ont les teintes infinies et subtiles de la peau des hommes. Parfois blanches, parfois légèrement ambrées, ou jaunes, ou bien cuivrées, tachées, dépigmentées. Les fissures sont autant de rides concédées au temps. Autant de maisons, autant de personnalités.

On fait encore ses courses dasns les magasins du centre ville.

On fait encore ses courses dasns les magasins du centre ville.

Dans leur immuable stature, les tours toutes proches font bloc, masse, tant elles se ressemblent dans leur uniformité. Ces phallus géants, symboles de la puissance d’une société virile et surexcitée, rejettent dans les ruelles alentour les petits hommes, aux petites jambes, aux petits bras, aux petits moyens. Deux mondes cohabitent parfois sans se reconnaître. L’un ne baisse jamais les yeux, l’autre ne les lève plus vers le ciel.

Défense de s’indigner ?

Il fait froid en ce vendredi sur le parvis de la Défense. Le temps est gris, l’air humide. L’esplanade est un espace ouvert ou les courants d’air, lorsqu’ils viennent de Paris, de Puteaux ou de Courbevoie, n’ont rien de sympathique. Depuis 15 jours les Indignés occupent la dalle entre le marché de Noël qui vient de s’installer et la Grande Arche qui domine les débats permanents. Quelques dizaines d’activistes, parfois une centaine dénoncent sans violence, par le dialogue une société aujourd’hui faite d’injustice.

Informer sans déformer les propos.

 

 

Les CRS ont volé les tentes et détruit le campement dans la nuit.

 

L’entrée du campement. La liste des courses côtoie la devise des Indignés.


Sur nous souffle le vent du capitalisme.
Pourquoi nous occupons la Défense depuis le 4 novembre!

  • Nous entendons dénoncer symboliquement le pouvoir financier en réinvestissant l’espace public pour en faire un lieu d’expression  démocratique.
  • Nous ne sommes ni un parti politique, ni un syndicat, ni une association.
  • Nous avons des idées et des positions potentiellement différentes et travaillons pour nous accorder par consensus sur un projet de société.
  • Nous appelons chacun et chacune à rejeter ce système qui nous opprime tous et à constituer ensemble une société plus juste.
  • Nous organisons des groupes de travail permettant de rédiger des propositions qui sont soumises en assemblée générale.
Les slogans sont écrits parfois maladroitement sur des cartons et s’étalent autour de leur campement. Certains sont adressés directement aux  public qui s’arrête et s’interroge.

Ne nous regardez pas comme ça, rejoignez-nous.
Les banques vous mentent, votre argent n’existe pas.
Dette publique, richesse privée…

Les échanges s’enchaînent sans discontinuer.

Pa rapport aux concentrations des Indignés Espagnols ou Américains, le mouvement peine à rassembler. Les Français ne sont pas encore au plus profond de la misère. Ils ont le menton hors de l’eau…pour combien de temps encore. Les politiciens nous annoncent des plans d’austérité en nous promettant qu’on va s’en sortir. Mais ce sont toujours les mêmes qui s’en sortent et nous payons sans cesse pour eux. 

Liberté, Égalité, Fraternité est la devise de la République Française, il devient nécessaire que ces mots qui sonnent de plus en plus faux, redeviennent des mots forts, vrais et de nouveau chargés de sens.

Vêtements, nourriture, parapharmacie, tout sera trié et rangé dans des cartons pour une utilisation quotidienne.

Après une nuit mouvementée et froide, c’est le réconfort d’un petit déjeuner chaud.

On passe en faisant ses courses, on s’informe ou on participe.

Il n’y a pas d’âge pour être solidaire.

La lecture des nouvelles d’autres Indignés, ailleurs, ensemble.

Indignée et costume cravate. Le contraste n’est peut-être que visuel.

Le bonheur d’être ensemble reste toujours aussi fort.

La jeunesse ouvre ses bras à l’avenir.