L’union c’est la farce
Au début, tout ce jaune ça brillait un peu comme un beau soleil, comme une grande fraternité qui n’avait plus existé depuis bien longtemps. Voilà, on allait enfin s’aimer, s’aider, partager comme des frères et des sœurs trop longtemps éloignés les uns des autres. On allait marcher ensemble pour réclamer notre part de bonheur. Ils allaient voir – ces nantis – ce que c’est qu’un peuple en colère ! On allait leur dire aux politicards comment on survit dans les provinces de la France profonde. Baisser la tête sans rien dire, c’est fini messieurs les élites. Chacun se reconnaissait dans son voisin, mêmes inquiétudes à propos de l’avenir, mêmes galères éprouvées. Un seul récit de vie ressemblait à tous les autres. C’était l’expression d’une voix unanime, universelle, populaire. Il y avait du bien, du bon, de la générosité dans toutes ces expressions du peuple des périphéries. Les fourberies des politiques et des récupérateurs de tous poils étaient décryptées promptement et inévitablement remises en cause. Les idées fusaient dictées par l’expérience. Il émanait des premiers jours, une intelligence qui faisait force de vie et d’espoir.
Et puis…et puis, comme un être humain n’est jamais un tout parfaitement pur, le peuple a produit aussi son purin. Sont apparues avec violence les scories identitaires, de l’ultra gauche comme celles de l’extrême droite, sans oublier tout simplement une cohorte de casseurs qui, on le sait, ont autant de réflexion et d’idéologie qu’une éponge privée d’eau. Les maux des uns sont toujours consécutifs à la présence des autres. On parle de parole libérée, mais j’entends surtout des vociférations, des insultes à tout va. Sous prétexte de solidarité a un mouvement populaire, ce sont les populistes homophobes, sexistes, racistes, antisémites qui viennent polluer un mouvement qui se veut avant tout social. Les barbares occupent la rue afin de créer le chaos. Ceux qui ont la rancœur au cœur, la lâcheté chevillée au corps, profitent de l’anonymat du nombre pour déverser leur haine. Tous unis, mais unis à qui ?
Tête de Turc
J’ai le sentiment de ne plus être vraiment quelque part, de ne plus habiter là ou je suis. Ce matin chose étrange, devant la glace je me suis observé sous toutes les coutures avec une précision quasi obsessionnelle. Je me suis examiné trait après trait, afin de savoir si je n’avais pas une tête anormale. Je finis par douter ! Avec tout ce qui se passe, tout ce que l’on voit et qu’on entend on devient vite paranoïaque. Pour un rien, on peut se transformer en “tête de Turc”. On ne se reconnaît plus entre amis. Le jaune devient une couleur “mot de passe” qu’il faut revêtir pour tourner en rond. Afficher sa différence, c’est montrer une “gueule” (un état) incompatible avec le sens du courant. Il ne fait pas bon porter une étiquette politique ou idéologique. Certains se retrouvent abreuvés d’insultes, les murs de leur maison tagués d’une haine inouïe, quand ce ne sont pas des attaques physiques ou tout simplement l’intimidation par le feu. J’essaie de me rassurer en me disant que finalement ma tête est assez quelconque. C’est ça que je veux, être n’importe qui, me fondre dans le monde d’en bas. Pas trop de signes physiques ou ostentatoires qui me différencieraient de façon excessive. Tout de même, c’est paradoxal qu’un mouvement qui réclame plus de justice sociale et qui prône la liberté de parole, impose une si grande intolérance à la moindre tête qui dépasse. Une pratique révocatoire à propos de certaines personnes, ou idées ne cacherait-elle pas un léger goût pour l’exclusion sociale, ethnique ou religieuse. L’idée qui laisse à penser que la physionomie de l’individu permet d’en déduire sa personnalité compte encore beaucoup de supporters. Nous serions comme un livre ouvert sur nos origines et sur notre être le plus intime. Je pensais que la “morphopsychologie” avait montré ses limites et ses dangers, surtout utilisée de manière caricaturale par des gens peu informés ou malfaisants. L’histoire en témoigne.
Brouillon de culture
Désormais je fais aussi très attention à mon langage. J’utilise des mots simples, de mots pas trop recherchés ou trop élaborés. Je m’évertue à parler en ponctuant de temps en temps mes phrases avec un mot choquant…histoire de montrer ma détermination (c’est viril d’être un peu fruste) et surtout je ne veux pas qu’on me confonde avec l’élite. C’est très mal vu de faire partie de l’élite ou des nantis. La culture serait très mauvaise pour la démocratie. J’ai lu sur les réseaux sociaux des messages remettant en cause l’éducation nationale. L’éducation nationale favoriserait la servitude des enfants vis à vis du pays. Étudier, devenir un bon élève serait une manœuvre du gouvernement pour domestiquer les cerveaux. Enseigner serait donc une bonne méthode (un complot, il faut le dire) pour produire de bons soldats au service du grand capital ou d’un certain mondialisme. C’est vrai, on n’est jamais aussi bien informé que par les réseaux sociaux. Maintenant, je sais que la terre est vraiment plate, que les attentats de Nice et de Strasbourg n’en étaient pas et que les vaccins ne servent à rien, voire sont dangereux pour la santé. Mais de cela, il ne faut pas parler car il y a une collusion entre les laboratoires et le gouvernement. Et sachez le des sociétés secrètes dirigent le monde. Mais chut…nous sommes écoutés !