Virginie Jeanne est un petit bout de femme à l’air jovial, aux cheveux rouges (et oui, sa coiffeuse a un peu raté sa couleur me dit confie t’elle). Ne vous méprenez pas, malgré son allure de jeune fille, cette charmante jeune femme de 47 ans est la maman de 2 grands garçons de 19 et 21 ans.
Installée au calme dans la campagne Cotentinoise, tout près de Coutances, Virginie m’explique que depuis toujours elle aime le cuir. Elle a de qui tenir puisque son père anciencordonnier, bottier, maroquinier, patronnier et orthopédiste (ouf !) a fait naître sa passion dès le plus jeune âge. D’ailleurs aujourd’hui encore, ce papa lui rend visite de temps à autre dans son atelier. Viendrait-il s’assurer que sa fille met en œuvre ses bonnes recommandations ? À moins que la nostalgie de l’atelier, de ses odeurs de cuir, du bruit mécanique de la machine à coudre ou l’odeur de la colle ne soit encore très présente chez le vieil artisan.
Virginie Jeanne se consacre donc au travail du cuir en concevant et en réalisant des produits originaux. Sacs à main, porte-monnaie, objets de décoration, bijoux en cuir et tissus.
“— Mon produit phare c’est le cartable porte-monnaie. Tout est fait maison. Chaque produit est personnalisé. J’essaie toujours de mettre un petit truc en plus.”
La matière première du maroquinier, c’est le cuir bien sûr. Des peaux que Virginie va chercher directement dans les tanneries. En France, ces entreprises se font de plus en plus rares. Virginie revient justement d’une tannerie située à Toulouse d’où elle a ramené de la chevrette et de la vache. Elle recherche des cuirs au traitement très souvent particulier, ce qu’elle appelle des cuirs “hollé, hollé”. Des peaux aux couleurs actuelles, teintes pastel, à l’aspect moiré, argenté, doré, ou des surfaces frappées de motifs.
“— Je choisis toujours mes cuirs au toucher. Je caresse le cuir pour sentir le grain. Mais, c’est par le visuel que je fais ma première sélection. C’est avec les mains ensuite que je sens la qualité de la peau, ses défauts, sa souplesse. Il y a toujours des petits défauts. Je n’achète pas les grandes peaux que les maroquineries de luxe recherchent. Une peau qui a un petit défaut, je m’en arrange. À moi d’en tirer parti. Comme disait mon père :
“— tout ce qu’on ne peut pas cacher, on le montre.”
Dans l’entrée de l’atelier, des peaux roulées, de toutes les couleurs rangées sur un présentoir, s’offrent au choix du futur client ou du visiteur curieux.
Dans l’atelier, trois belles machines à coudre occupent au moins la moitié de la pièce. Le reste est occupé par une grande table de travail où, dans des casiers de cuisine bien propres, sont rangés des outils patinés par des années d’utilisation.
“— Je me sers beaucoup des outils de mon père. Et puis, j’utilise tout ce que je trouve pour parvenir au résultat. La maroquinerie que je pratique, c’est aussi beaucoup de bricolage…de la débrouille.”
Pour la démonstration, Virginie sort le patron d’un cartable porte-monnaie réalisé dans un plastique un peu rigide. À l’aide d’un crayon argent, elle trace à même le cuir la forme du modèle. Des repères sont reportés sur la peau. Ils serviront ultérieurement à positionner la poignée par des rivets, le petit fermoir métallique…
La découpe se fait au chasse-peau sur une plaque de zinc.
“— Je n’utilise jamais le cutter pour découper mes peaux. Je préfère cet outil de mon père que je réaffute de temps en temps. La lame est plus rigide. Je risque moins pour les doigts. Quoiqu’il me soit déjà arrivé d’y laisser un peu de peau au passage.”
Des petits outils apparaissent au fur et à mesure de la découpe. Celui-ci pour arrondir les coins, celui-là en forme d’emporte-pièce pour découper d’un unique coup de maillet une languette parfaite.
Suite à la découpe, le bord du cuir est passé à la flamme afin d’éliminer les petites peluches. Chaque bordure est ensuite teintée à l’aide d’une couleur liquide qui sent bon l’amande, comme les petits pots de colle blanche font ressortir les souvenirs de notre enfance. Aujourd’hui, ça sera du noir pour ce cuir rouge. Demain, selon l’humeur de Virginie et la peau choisie, ça sera peut-être blanc ou tout simplement laissé au naturel. Une obsession du travail bien fait jusque dans les moindres détails. Ces petits détails qu’un client attentif, ne manquera pas de remarquer.
Le montage des différentes pièces de cuir, sont collées avant d’être consolidées et enjolivées par la couture.
C’est sur la vieille machine à coudre Singer des années 30/40 que Virginie fait un essai afin de régler le pas de couture. Machine à coudre spéciale “cordonnier” avec un bras très long pour coudre les tiges des bottes et confectionner les chaussures. Cette Singer à haute performance, travaille avec une extrême précision et une grande finesse, à tel point qu’il est possible de coudre de la mousseline sans aucun problème. La hantise de l’artisan, c’est la casse d’une pièce. Les pièces de rechange sont désormais difficiles à trouver. Refaire des pièces par usinage reviendrait beaucoup trop cher, sans doute plus cher que la machine à coudre elle-même.
Après l’assemblage des pièces de cuir, il faut maintenant parachever les finitions. Pour faire un “tuck” (petit fermoir métallique), il faut 4 pièces. Virginie plonge la main dans la mallette à casiers ou généralement les bricoleurs rangent clous et vis.
L’anse est rivetée sur le porte-monnaie. Avec la pince à monter, Virginie met en place la fermeture. Le cartable porte-monnaie est maintenant terminé.
Avec toutes ces manipulations, le cuir s’est un peu déformé (frisé aux coutures). Une bonne journée sous la presse lui redonnera toute sa forme originale.
Le petit cartable ira rejoindre les nombreux autres modèles déjà réalisés et prêts à la vente que l’artisan expose un peu partout dans le Cotentin.
Avant de se quitter, Virginie me désigne une grande malle en bois ayant appartenu à son père. Avec précaution comme un coffre révélant quelque secret, elle me montre des patrons de chaussures (même un modèle de chaussures de clown), dessinés au dos de papiers de récupération, comme on le faisait autrefois pour économiser le beau papier. Elle plie et déplie les gabarits en papier jauni, caresse avec douceur les croquis annotés au stylo bleu. Toute la vie d’un homme se trouve là, consignée dans ce coffre en bois. C’est l’émouvant passage de témoin d’un artisan cordonnier à sa fille pour que vive encore longtemps le monde de la création, l’harmonie de l’intelligence de la main et de l’esprit.
Virginie Jeanne
Maroquinerie du Cotentin
Création, réparation, travail sur mesure
9 rue de Hotot
Saint-Georges-de-Bohon
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Normandie
France
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Site commercial :
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