De la poudre à l’art

À l’origine, j’avais l’intention de rendre une petite visite au Musée d’Orsay, sans doute mon musée préféré, autant par son contenu que par son architecture que je trouve particulièrement réussie pour une sympathique déambulation. Orsay a toujours évoqué pour moi le plaisir de flâner d’une salle à l’autre au milieu de peintures qui font plus partie de mon intimité que les magistrales œuvres du Louvre. Une exposition consacrée aux dessins de danse de Degas me faisait un clin d’œil depuis quelque temps à Orsay. Et puis, influence du climat ou inconséquence de l’esprit humain, c’est vers le petit Palais que j’ai orienté mon choix compte tenu d’une affiche alléchante “L’art du pastel de Degas à Redon”. Finalement des dessins de  Degas aux pastels du même Degas, il n’y avait pas forfaiture à se désavouer. 

Il fallait ce jour là une bonne dose de courage mais surtout d’épais vêtements pour démarrer une file d’attente au pied des marches du petit Palais. L’air y gelait même la lumière et le vent sibérien sans pitié ne laissait aucun répit aux pauvres SDF emballés tels des momies dans leurs duvets poussiéreux.
Après 20 minutes d’attente et quelques rigolades entre les visiteurs que nous sommes (le rire doit certainement tenir chaud), deux fonctionnaires ouvrent enfin la file d’attente. C’est là, que nous apprenons que l’entrée se fait à un autre endroit du bâtiment. Tout le monde râle ! Une anglaise nous confie :
“— Je ne comprends pas en France c’est toujours le bazard !”.
Résignés, mais finalement trop contents de nous mettre au chaud, en petit troupeau docile nous contournons la majestueuse entrée principale aux ferronneries dorées pour nous agglutiner devant une vilaine petite porte vitrée qui….ne s’ouvre pas ! Là derrière, quelques “ombres” s’agitent, vont et viennent dans une effervescence fébrile qui n’annonce rien de bon. Mon impatience grandit et je sens la bonne humeur de mes compagnons d’infortune tourner au vinaigre. Une baie vitrée s’ouvre, on se précipite, un groupe force le passage. Trop tard pour nous, la porte se referme brutalement. Ce n’est pas la bonne entrée. Après plusieurs tentatives, comme la mer rouge s’écartant pour laisser passer les israélites…l’accès au musée nous est enfin largement offert. “Comme vous avez pu le constater, nous avons un problème d’ouverture des portes !” Les railleurs en profitent pour demander au personnel du musée s’ils ont eu le temps de nous préparer le café et les croissants…Je vous rassure, le reste de la visite se fera dans une ambiance calme et feutrée, très intime pour cette belle exposition de pastels.

“Le pastel a une fleur, un velouté, comme une liberté de délicatesse et d’une grâce mouvante que ni l’aquarelle, ni l’huile ne pourraient atteindre.”
Joris-Karl Huysmans (Exposition des Indépendants en 1881)

L’âge d’or du pastel connaît son apogée en 1765. Il est à ce point prisé, qu’il rivalise largement avec la peinture, la sculpture et la gravure. Pour les portraits, il est même préféré à l’huile. Les grands pastellistes de l’époque se nomment Charles Le Brun, Joseph Vivien, Maurice Quentin de La Tour, Jean-Baptiste Chardin…

Au 18 ème siècle le pastel atteint la perfection, toute l’aristocratie se fait portraiturer par les meilleurs pastellistes. La révolution Française apporte un bouleversement en profondeur de la société. L’aristocratie est désormais suspecte et le pastel, reconnu pour être le mode de représentation favori de la bourgeoisie est jugé compromettant. Tout ce qui persiste de l’ancien régime devient antisocial. Perruques, vêtements amples et enrubannés, fards…tous les symboles d’une classe sociale déchue, dont la technique du pastel avait su si bien rendre les attraits, sont bannis. Le pastel devient démodé autant que les codes vestimentaires et esthétiques de la bourgeoisie. C’est le retour à la rigueur avec la peinture à l’huile.

Dans le dernier quart du 19 ème siècle, puis au début du 20 ème siècle, le pastel jouit d’un véritable intérêt et offre une alternative “nouvelle” à la peinture à l’huile. La création de la Société de Pastellistes Français en 1885, la construction d’un pavillon de pastellistes pour l’Exposition Universelle de 1889, permettent à cette technique “redécouverte” de s’imposer pour elle-même.

Auprès des Impressionnistes, le pastel se développe comme une évidence pour traduire des sensations instantanées. Sa facilité de mise en œuvre sur le terrain, sa rapidité d’exécution en fait un médium en harmonie avec leur esthétique, suggestion de mouvement, effets de lumière. Artistes paysagistes avant tout, les impressionnistes n’en délaissent pas pour autant la représentation humaine pourvu qu’elle soit rendue dans la vérité du quotidien. Degas avec les danseuses, Mary Cassatt avec les figures d’enfants, témoignent de cet intérêt.

La fin du 19 ème siècle signe le retour des grands portraits mondains. L’élite aristocratique et bourgeoise, retrouve le charme et le raffinement de la poudre de pastel. Cette époque bénie pour les artistes leur permet d’exprimer pleinement art et virtuosité et leur offre aussi de très bonnes perspectives commerciales. Hommes influents, élégance féminine en grands formats témoignent que le pastel n’a plus rien à envier à la peinture à l’huile. Les carnations sont admirablement rendues et les nus de Pierre Carrier-Belleuse ou d’Alfred Roll démontre la grande variété d’expression des pastellistes de cette époque.

Les peintres “symbolistes” trouvent dans le pastel la magie qui leur permet d’exprimer toute leur réalité intérieure. Sentiments, rêves, ils privilégient les sujets rares, littéraires, allégories ou mythes. C’est tout un univers poétique qui prend forme bien loin de l’univers réaliste et instantané des impressionnistes. Le monde étrange et fanstasmagorique d’Odilon Redon conclut cette exposition à travers 3 pastels, dont le sentiment subjectif qui est l’essence même de son œuvre reste encore aujourd’hui une énigme.

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Quelques couleurs

 Je n’ai pas grand chose à dire sur cette galerie dont certaines réalisations ont été publiées sur Facebook. Il m’arrive de ne plus savoir exactement ce qui a déjà fait l’occasion d’une publication. Les dessins et peintures, s’accrochent sur mes murs, s’entassent dans des cartons pendant un certain temps et partent comme un vin vieillir dans ma cave sur quelques étagères. Le temps bonifie t’il les peintures ? J’en doute. En tout cas ce que je sais c’est que l’absence de lumière agit sur l’huile de lin contenue dans les couleurs. Cette action assombrit les “œuvres” et il faudra une exposition à la lumière pour leur redonner leur éclat. Comme quoi, en peinture il faut aussi posséder un savoir de “petit chimiste”.

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Petites natures

L’hiver a ceci de positif, c’est que dans la plupart des cas, la météo étant peu favorable, il est difficile de sortir et c’est un bon prétexte pour rester peindre bien au chaud. C’est le temps privilégié pour s’essayer à la nature morte, à dénicher chez soi ce que l’on pourra bien représenter. Une pomme fripée, un morceau de pain, une sardine fraîche dans une assiette ou même une cafetière cabossée peuvent faire l’affaire. L’important étant moins le sujet que la façon de le peindre (avis tout à fait personnel). 

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Dépouilles

Mis en avant

Une amie m’a demandé récemment ce qui m’avait amené à peindre des dépouilles d’animaux. Mon premier réflexe a été de penser “tiens, quelle drôle de question ?” comme si cette série allait de soi pour tout le monde et que le sujet ne susciterait aucune réflexion particulière.
Bien embarrassé dans un premier temps pour satisfaire en quelques mots sa curiosité, je me suis plongé plus intensément sur mon premier ressenti pour en rechercher une “justification intelligible”. Et finalement le questionnement bien innocent de cette amie me donne l’occasion de m’en expliquer.

Il est vrai que le choix d’un sujet, qui produira dans le temps une image sur un support, ne nait jamais du vide, ni de l’absence de toute matière, qu’elle soit visuelle, intellectuelle, sensible, liée à n’importe lequel de nos sens. La peinture est souvent le “réaménagement” de formes, de couleurs, de sensations dans un certain ordre pour donner une lecture de son propre monde intérieur. Et l’exposition du résultat pour une lecture publique est somme toute une contribution à la philanthropie. Cette participation même modeste n’est pas à désavouer pour autant.

Je me suis toujours interrogé (au cours de mes nombreuses promenades, en forêt ou en campagne), du peu de cadavres ou de traces que les animaux laissent lorsqu’ils meurent. Bien sûr, chacun aura un jour sur un chemin aperçu une touffe de plumes éparses, arrachées à un pigeon par quelque buse vorace. Mais que deviennent les renards, les sangliers, les chevreuils et autres cerfs en fin de vie. Des milliers de bêtes meurent chaque jour autour de nos cités. Les animaux se cachent t’ils pour mourir ? Cerfs, chevreuils sont nombreux dans nos régions. Ces mammifères perdent leurs bois chaque année. Combien de ramures, de bois pouvez-vous vous étonner d’avoir trouvés ? Et ne me dites pas que les prédateurs sont suffisamment nombreux pour éliminer toutes les charognes. La rareté cadavérique sur le terrain est en même temps une découverte émotionnelle et un questionnement immédiat sur les raisons de la mort de l’animal en présence. 


Ces dépouilles ont été découvertes pour la plupart sur des chemins, en bordure de cultures. Empoisonnement, blessures et abandons par un chasseur…Des pierres ont été projetées avec force sur le lapin de garenne comme si sa mort n’était pas suffisante. Quel plaisir peut ressentir celui qui s’acharne ainsi sur un animal mort. Contrairement à la chasse à courre (où l’animal est poussé à bout, poursuivi par une meute de chiens forcenés), le cerf ci-après, a été abattu d’une balle et sa mort a été presque instantanée. Quelle que soit la cause du décès, le passage de la vie à trépas d’un animal provoque en moi un grand vide, un regret suivi d’une grande tristesse. En me penchant sur mes documents, en les travaillant sous forme de peintures, j’ai le sentiment de redonner vie à des êtres dont notre société ignore ou méprise souvent l’existence. C’est aussi une manière d’évacuer une culpabilité, de responsabilité envers ces animaux, et de tenter par l’image une approche empathique avec eux. 

Le mystère de la mort est une des composantes de la vie et nous ne pouvons pas oublier que l’homme des premiers âges continue pour une bonne part de survivre en nous. Les peintures rupestres sont elles l’expression d’un simple plaisir pour l’art ? Les premiers hommes, en représentant les animaux, leur chasse, leur mort n’ont t’ils pas tenté d’entrer en contact par une activité chamanique, avec cette vie animale qui accompagnait leur quotidien ? Ont-ils essayé par les signes et la couleur de symboliser la réussite de la chasse et la supériorité de l’homme sur l’animal et invoqué des dieux pour les protéger de la blessure. En procédant à des rites, qu’ils soient religieux, païens, en adoptant certaines croyances ou pensées dans notre quotidien, en idolâtrant certains êtres, ne sommes nous pas à la limite de l’homme anxieux face à cette inconnue qu’est la mort ?

Il existe des artistes qui vouent leur talent à représenter les animaux vivants. On les définit comme “peintres animaliers”. Titre honorable qui sanctifie la vie. Lorsque des artistes consacrent une part de leurs réalisations à l’univers de la “camarde”, on a vite fait de les qualifier d’artistes “maudits ou “de morbides”. La représentation picturale de cadavres humains ou d’animaux les place dans une sphère particulièrement critique. Pourtant, depuis les antiques, la “vanité” constituent une représentation allégorique de la mort humaine et la nature morte n’en est que sa petite jumelle.

Le cadavre humain a longtemps servi de modèle aux plus grands peintres. Il faut mentionner la leçon d’anatomie de Rembrandt, les écorchés de Léonard de Vinci, les études de membres de Géricault pour le radeau de la Méduse, le toréro encorné d’Édouard Manet, les quartiers de viande de Soutine…L’histoire de l’art rapporte une grande abondance d’œuvres représentant gibier, poissons et autres bestioles exotiques apathiques. Et nombreux sont les artistes qui se sont essayés à ce genre depuis des siècles. On peut citer Chardin, encore Géricault, Goya etc…

Ces natures mortes en atelier sont dans leur grande majorité “arrangées”, c’est à dire composées. Chaque sujet, chaque objet est placé avec minutie dans une mise en scène très étudiée selon des règles de composition et en organisant le jeu de l’ombre et de la lumière. L’aspect accidentel, fortuit n’existe pas. 

En travaillant à partir de mes photos prises sur le vif, selon les conditions atmosphériques rencontrées, la mise en scène est inexistante. La prise de vue est un document “brut, neutre, sans effet et sans affect” à partir duquel j’essaie d’apporter une esthétique picturale. En ce sens, ma démarche s’éloigne de la nature morte exécutée en atelier avec le sujet réel comme objet d’observation.

Dans notre société occidentale, la mort est occultée d’une manière consensuelle. Elle devient un phénomène de rejet car son image choque, dérange. Plus personne ne visite les cimetières. Et les cortèges accompagnant le défunt jusqu’à sa tombe se font désormais dans une rapide course en voiture. Pourtant par un jeu subtil de miroirs, la mort inonde paradoxalement les écrans, les films, les jeux vidéos. Ces images pour la plupart vécues comme des fictions n’apparaissent plus que comme des artefacts de la réalité. L’image d’un cadavre d’animal émergeant au milieu d’allégories de la bienséance choque. Ça serait un bienfait s’il éveillait quelques consciences et questionnements.

À l’heure où, à chaque minute notre “humanité” voit (ou fait) disparaître son environnement écologique, où les espèces animales sont malmenées alors qu’elles font partie intégrante de notre “généalogie”, mon propos tant visuel que littéraire, n’est pas de faire l’apologie de la mort ni celle d’un plaisir morbide. La mort n’est ni souhaitable, ni enviable et en aucun cas elle ne peut être belle. Elle “EST”. Elle possède une esthétique qui me touche par sa simplicité, son silence et la réflexion qu’elle génère intérieurement.
Traduire par la ligne, la couleur, sans emphase, sans excès, mais dans toute sa force la mort de ces bêtes est le challenge que je m’étais fixé, car il fallait au delà de l’image que je leur accorde une dernière célébration. 
Et votre regard face à ces images, loin de toute indifférence, qu’il soit attristé, choqué ou mal à l’aise est une belle contribution à la vie.

 

 

Quatre semaines

Quatre semaines dans le Vaucluse où j’ai retrouvé mes endroits familiers au pied du Mont Ventoux. Comme toujours, j’ai apprécié cette facilité de me déplacer d’un endroit à un autre en toute tranquillité. Peu de voitures, à part sur la route principale montant au sommet, où des hordes de cyclistes s’époumonent dès le virage de Saint-Estèphe. Le moindre chemin roulant de pierres blanches, mène tout de suite à un endroit inconnu, préservé, où il est possible de se retirer du monde. Cette année, la canicule ne m’aura pas trop affecté en ce mois de septembre. Seul le Mistral m’est apparu plus présent et les jours sans vent se sont comptés sur les doigts de la main. Contre la lumière, j’ai pu expérimenter mon petit parapluie “Best Brella” orientable en tout sens, prompt immédiatement à suivre la course du soleil. Il a su résister aussi à un vent modéré, mais j’ai vite compris qu’il était impossible de lui faire braver le moindre souffle du Mistral. De toute manière je n’ai jamais réussi à peindre lorsque ce vent est levé. Tout dans la nature n’est qu’un bruissement incessant de feuilles, de branches, de gémissements. La toile s’envole, entraînant le chevalet et ce n’est pas la grosse pierre ficelée entre les pieds de ce dernier qui le retiendra au sol. Les coups de vent surviennent en rafale, avec des coups terribles, à tel point que la main chargée du pinceau ne parvient pas à poser à l’endroit voulu la touche de peinture. Malgré tout, en me protégeant et en alternant peinture et dessin, j’ai pu travailler sur un certain nombre de sujets qui auront contribué une fois encore à me faire pénétrer un peu plus dans la peinture.

Du vert mais pas que…

Parmi la gamme chromatique allant du jaune au violet, le bleu est la couleur préférée des Occidentaux. Viennent ensuite le rouge et le vert. Le jaune ne semble pas retenir beaucoup de suffrages.
C’est autour du vert que je porterai mon attention. On ne le sait peut-être pas, mais le vert fait partie de ces couleurs historiquement maudites. Au XVIe siècle, le pigment vert était chimiquement instable et difficile à créer. Cette couleur était issue de l’oxydation de lamelles de cuivre avec du vinaigre, du citron ou de l’urine. Ce vert-de-gris obtenu s’il suffit à imiter la couleur verte, n’en est pas moins corrosif et contaminant pour les couleurs voisines ainsi que toxique puisqu’il se transforme en un poison extrêmement violent. Au XVIe siècle, le comédien qui jouait en vert, ne portait pas un costume teint en vert, mais un costume littéralement peint en vert-de-gris.
Plusieurs comédiens moururent empoisonnés mais personne ne comprit que la peinture en était vraiment la cause. L’idée se répandit que le vert était une couleur maudite et elle fut bannie progressivement des scènes de théâtre. La légende ne s’arrêtera pas là puisqu’au XIXe siècle, la malédiction du vert prend un nouvelle tournure. Ce n’est plus le vert-de-gris qui est en cause, mais celui à base d’arsenic. On se sert de cet élément chimique pour fabriquer teintures et peintures vertes en décoration, dans le mobilier, ou objets de la vie quotidienne. Ces produits inodores étaient extrêmement dangereux puisqu’ils exhalaient, en présence d’humidité, des vapeurs nocives qui provoquèrent de nombreux accidents et ne firent qu’amplifier la méfiance vis à vis de cette couleur. Il est possible que Napoléon en ait été victime à Sainte-Hélène. Aucun historien ne croit plus que l’empereur ait volontairement été empoisonné, mais plusieurs chercheurs soulignent que les pièces de la maison où il vivait étaient tendues de vert – sa couleur préférée – , le dangereux “vert de Schweinfurt” mis au point en 1814 par dissolution de copeaux de cuivre dans de l’arsenic. D’où sans doute une explication à la présence de traces d’arsenic dans les cheveux et sous les ongles de l’empereur défunt.
(À lire l’excellent livre de Michel Pastoureau, Les couleurs de nos souvenirs.)

Si en peinture, la constitution du vert ne présente pas de toxicité particulière et n’endosse plus la moindre malédiction, elle demeure pour beaucoup une couleur délicate à mettre en œuvre. Pour un peintre de paysages la saison fatidique est celle qui se situe entre la fin du printemps et les prémisses de l’automne. C’est à ce moment là que la nature explose dans un foisonnement de verts de toutes sortes. Si nombreux et souvent si proches selon les différentes essences d’arbres dressés sur les prairies aux herbes survitaminées. Comment rendre toutes ces nuances qui changent en permanence au gré du nuage qui musarde ou du soleil qui place les ombres tantôt à droite, tantôt à gauche. Là, le peintre aurait tendance à mettre en regard ces misérable capacités d’observation et la force évocatrice de la nature. Comment rendre tout ça, sans en faire un vulgaire plat d’épinards. Je ne passe pas de la peinture à la cuisine – bien que la cuisine soit aussi un art – sans intention. Mais la hantise du coloriste est bien de se rendre compte que son paysage et particulièrement ses verts ressemblent indéniablement à la couleur des épinards. Rien de pire ! La “couleur épinard”, c’est un peu la couleur directement sortie du tube, une couleur non modulée, non travaillée, qui manque de finesse et ne correspond qu’à une observation insuffisante. Je ressens une certaine angoisse chaque fois que je dois planter mon chevalet devant un paysage tout de vert revêtu. Le niveau me paraît infranchissable au premier abord, il me faut apprivoiser le lieu, l’espace, les sonorités, les couleurs…
La proximité des nuances fait que l’œil se perd très vite dans un massif entièrement vert. Généralement, je fixe mon attention sur un arbre particulier qui constituera un axe principal. Celui-ci me servira de couleur de référence à partir duquel je vais organiser toutes les autres couleur. Je vais faire un va et vient visuel permanent pour donner à l’ensemble de la peinture, une cohérence, une harmonie qui, même si elle ne représente pas la réalité, devient sa propre réalité. Le plus difficile est d’appréhender la verdure qui se fond dans les bleus avec l’éloignement. Cézanne a longuement travaillé cet effet de vibrations dans les lointains. C’est dans une forme plus moderne et plus réaliste qu’Israël Hershberg s’est intéressé à ce phénomène de profondeur et de voile atmosphérique.

Cézanne, la montagne Sainte-Victoire.

Israël Hershberg, les Sabines 2014.

Il faut avant tout chose se focaliser sur un sujet. Bien souvent, je ne recherche pas le sujet original qui risque de constituer ce que j’appellerais l’aspect “carte postale”. Les poncifs traditionnels existent en photo comme en peinture. Certains en vivent et très bien, pour continuer à défendre leur position. Le joli petit village avec les fleurs au premier plan (le tout bien “léché” ou traité “au couteau”, dont les couleurs brutales, happent l’amateur d’art qui confond peinture et imagerie), reste le modèle favori. Mes préférences thématiques, si elles ne me sont pas exclusives, résultent d’une façon de voir la nature de façon très naturelle, comme au cours d’une promenade. Le regard se pose ici sur un coin de campagne, ou là sur un bosquet parceque nous sommes entrés en résonnance avec ces éléments d’apparence anodine. C’est ce choix que je privilégie. Celui de ne représenter que des endroits dépourvus de tout intérêt “pittoresque”. Éviter l’attrait “forlklorique”. Tenter de donner l’attention à la peinture elle-même et non pas au sujet ou à l’objet représenté. Il en est de même pour les éléments des natures mortes (je préfère l’appellation anglaise “still life) qui me proposent une vision du quotidien à la place de tables chargées de fruits, de fleurs et de victuailles dont le passé nous a habitués. La chaise de Mathieu Weemaels, le plat vide de Michael East, ou le lavabo d’Antonio Lopez Garcia sont des objets du quotidien entrés dans la vision et la préoccupation des artistes d’aujourd’hui. Leur qualités picturales et leur valeur artistique ne peuvent être contestées.

Mathieu Weemaels.

Michael East.

Antonio Lopez Garcia.

Je ne cherche pas à séduire par une série d’artifices qui flattent l’œil d’un large public. On peut me le reprocher. Mais cela ne constitue pas une charge suffisante pour me faire changer de direction. L’idée est de se démunir de tout ce qui pourrait être mineur, qui pourrait troubler ou divertir l’observation. Une barrière d’arbres mêlés sans distinction, un fourré ou un lointain anonyme font l’affaire. Un sujet à l’apparence banale ne contient plus que l’essentiel à étudier, les formes et les couleurs. Le fait d’en décider la représentation lui fait perdre son rôle d’élément de piètre importance et lui confère le statut de modèle privilégié. Souvent, je pense à quelques grands peintres dont je pourrais faire référence tant leur travail fut pour moi en son temps un modèle. Corot le “moderne” avant l’heure par le synthétisme et cette force tranquille qui émane de ses paysages. Cézanne pour la touche de couleur qui construit ses paysages comme un maçon construit sa maison. Bonnard dont la couleur magique transfigure la moindre vue en un mirage féérique digne du Magicien d’Oz. Et désormais tant d’autres contemporains qui, s’ils ne sont pas des maîtres “muséifiables”, sont d’excellents peintres. 

Corot.

Cézanne.

Bonnard.

L’observation du sujet verdoyant est un bon exercice pour former son œil. Les nuances sont subtiles, teintées de bleu, de jaune, de gris, d’argent pour certains feuillages. Je n’ai jamais eu le sentiment devant un paysage de me dire : “voilà, c’est un tableau fini !”. J’ai toujours envisagé le paysage comme une série d’études à chaque fois prolongées. Le premier aidant au passage et au perfectionnement du second et ainsi de suite avec des allées et venues incessantes, soit en progression, soit parfois avec des retours spectaculaires.
Certaines peintures, sont pour moi des marqueurs importants. Ainsi ce petit paysage de quelques centimètres carrés, réalisé en pochade en moins d’une heure, est le résultat d’une vision du lointain dont je n’avais jamais fait cas jusqu’à présent. J’ai été surpris de constater combien, en scrutant l’horizon, l’œil finit par discerner volumes, plans étagés en profondeur, qu’il est si difficile de rendre par la couleur en raison du voile atmosphérique. La taille du format m’empêchant de pousser bien loin la réalisation aussi bien sur l’aspect des formes que de la couleur, il me faudra revenir sur le sujet.

Environs d’Herbeville, août 2017.

Alors, certains pourraient se dire pourquoi s’ennuyer autant et vouloir toujours s’approcher au plus près de la vérité de choses, maîtriser la couleur, la forme, le vide. Pourquoi expérimenter sans cesse, et estimer que ce n’est jamais fini… À ceux là, je n’ai aucune réponse à offrir. Prendre un pinceau n’est pas un acte innocent et chacun doit trouver sa propre réponse. Quelqu’un d’autre que moi a dit ceci :
“J’essaie de faire ce que je ne sais pas faire, c’est ainsi que j’espère apprendre à le faire.” C’était tout simplement Pablo Picasso.Peintures et dessins récents :

 

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Le nu va se rhabiller


Fin juin signifie la fermeture pour trois mois de l’atelier de modèle vivant. 

Aurevoir le ronflement des chauffages d’appoint qui font perler les gouttes de sueur au front des plus braves et griller le modèle collé tout contre. Oubliés les éclats de rire qui fusent à la sortie d’une bonne blague et qui forcément trouve toujours un écho amplifié derrière un chevalet anonyme. Adieu les petites poses café accompagnées parfois d’un biscuit, qui permettent au modèle de relaxer son corps et nous accordent quelques bavardages tout en admirant nos exploits graphiques. 

Pour bien conclure une année de travail, quoi de plus sympathique que d’organiser une petite réunion amicale autour d’un repas “presque improvisé”. Chacun ayant préparé un “en cas” différent, nous avons allègrement mélangé les plats et les saveurs, le sucré et le salé. Qu’importe la règle, le plaisir de finir cette session était là et  cette réunion autour d’une table bien garnie n’a pu que contribuer à plus de reconnaissance de l’autre.

Tous n’étaient pas présents, dommage pour certains et tant pis pour d’autres. On se dit au plaisir de se retrouver fin septembre et bonnes vacances à tous.

En galerie mes derniers croquis de modèle vivant réalisés à l’huile sur papier.

 

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Quelques peintures juin 2017

Ma galerie de tableaux


Mon séjour dans le Morbihan au mois de mai m’aura permis de participer avec deux amis à la mise en place d’une exposition personnelle.

Nous avions choisi Carnac et sa belle salle des expositions pour cela, en pensant que les différents week-ends prolongés du mois de mai, apporteraient un public nombreux et intéressé. Hélas, le calcul s’est avéré mauvais. Malgré des visites (400 sur une douzaine de jours), nous avons reçu des badauds plus motivés par les étals du marché tout proche que par l’exposition de tableaux.

Une très belle et grande salle d’expo

Au cours de longues journées de permanence passées à attendre l’amateur d’art providentiel, j’ai eu le sentiment de recevoir surtout des personnes au cerveau “lobotomisées”. Peu de connaisseurs, peu de personnes enclines à discuter, à partager avis et commentaires. Combien de “quidams” sont entrés dans cette salle, sans un “bonjour ou aurevoir” à notre intention, comme si nous étions “transparents. L’art, et la culture en général ont encore bien du chemin à parcourir pour séduire une grande majorité d’êtres humains. Il est tellement plus facile de se garnir la panse que d’abreuver son cerveau.

Artrio est né de la réunion de trois amis

Ceci n’empêchant pas cela, j’ai pu trouver (en dehors de cette exposition) le temps nécessaire pour réaliser quelques pochades sur le motif. Cette mise à jour comprend également mes réalisations depuis le mois de novembre, peintures, dessins etc…

La Modernité en Bretagne

Le musée de Pont-Aven s’est entièrement modernisé et a réouvert ses portes au public en mars 2016.
Quand on parle de Pont-Aven, on pense immédiatement au synthétisme de Paul Gauguin et à Émile Bernard. Mais, la Bretagne fut aussi à la fin du XIX ème siècle une terre d’accueil et une source d’inspiration pour de nombreux autres artistes peintres. Eugène Boudin, Claude Monet, Maxime Maufra, Armand Guillaumin, le peintre australien John Peter Rusell…s’installeront épisodiquement ou durablement, de Belle-Île à Concarneau ou en campagne, des bords de l’Odet au Faouet tout en faisant vibrer la couleur et la lumière sous leurs pinceaux. La Bretagne leur offrant d’inépuisables sujets.
L’exposition “La Modernité en Bretagne” retrace une période de l’histoire de l’art de la région de 1870 à 1940. Mise en scène d’une vision élargie et détaillée de ce que représente généralement l’art dit “moderne”. Un premier volet est ainsi offert au visiteur de Claude Monet à Lucien Simon. Un accrochage consécutif mettra en valeur la période s’ouvrant de Jean-Julien Lemordant à Mathurin Méheut.
Une centaine d’artistes réunis en deux temps avec des œuvres, pour la plupart d’entre-elles méconnues du grand public.
L’interdiction de photographier les toiles provenant des collections particulières m’a contraint à réaliser des reproductions d’après le catalogue de l’exposition. Certaines œuvres ne sont représentées ici que de façon partielle.

Musée de Pont-Aven
Du 4 février au 11 juin 2017
La Modernité en Bretagne 1
De Claude Monet à Lucien Simon (1970-1920)

Du 1er juillet au 7 janvier 2018
La Modernité en Bretagne 2
De Jean-Julien Lemordant à Mathurin Méheut (1920-1940)

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Une journée peinture

Sarah en pleine action.

Il a fait très chaud, même très orageux ce dimanche 28 mai. Tout comme l’année dernière pour la journée peinture à Mesnil Le Roi, il a fallu se munir des chapeaux, de la crème protectrice et de beaucoup d’envie pour se poster, observer et œuvrer devant son sujet de longues heures durant.
Après un accueil sympathique où croissants, petits pains et autres viennoiseries permettent de raviver les retrouvailles, comme un vol de moineaux, chacun s’éclipse vers le coin – déjà repéré ou  espéré – pour s’installer au mieux pour cette journée de peinture.
Mon sujet de travail sera la grotte artificielle (l’un des derniers vestiges de l’ancien parc du château de Mesnil Le Roi) qui profite d’une zone en forêt où l’ombre apporte un peu de fraîcheur. Je me battrai de longues heures avec ces rochers de couleur incertaine, bizarrement bariolés de vert, d’orange, de gris. Aucune teinte locale à saisir qui pourraient me permettre de saisir d’un seul coup la teinte générale. D’autant que compliquant la tâche, des percées lumineuses viennent de temps en temps se surajouter à la couleur de la pierre.
Le rassemblement se fait à 17 heures autour d’une coupe de champagne, d’un petit buffet, où l’on se retrouve pour partager nos émotions, pour faire le bilan, apprécier avec le recul nécessaire ce que l’on a produit soi-même ainsi que la découverte du travail des “collègues”. Un jury décerne son appréciation après bien des hésitations.

J’ai un regret, celui de constater année après année le peu de peintres qui participent à cette journée conviviale. Cette initiative pour sympathique qu’ellle soit, risque à terme de disparaître faute de participants et de renouvellement.

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