Sorti de l’ombre d’un chemin, un enfant à la chevelure bohème s’est installé à mes côtés. Dessine moi un arbre me dit-il, après un grand silence. Un arbre ? Tu ne préfères pas que je te dessine un mouton ? Je croyais que tous les enfants préférais les moutons. Moi, je n’aime pas beaucoup les moutons. Ils bêlent tout le temps, ils sentent le suint et foncent n’importe où sans réfléchir quand ils ont peur. J’avais envie de lui faire plaisir et me mis tout de suite à l’œuvre. Tiens, voilà ton arbre. Bien grand, avec de grosses branches fortes et noueuses comme des bras de géant et coiffé d’une belle chevelure verte à son sommet. Pas mal du tout, mais ton arbre est-ce qu’il parle ? Je n’ai jamais entendu un arbre parler, lui dis-je. Même dans ta tête ? Euh non ! Bien franchement.
Pourtant regarde et écoute celui-ci avec sa branche cassée comme il geint lorsque le souffle venu de la mer secoue son membre estropié. J’ai beau tendre l’oreille, je n’entends rien. Tu n’entends rien peut-être parce que tes oreilles sont devenues insensibles au malheur. Sais-tu aussi qu’on entend mieux avec un bon regard. Tu as peut-être aussi besoin d’une bonne paire de lunettes. Je ne savais pas quoi lui répondre. À vrai dire les réflexions des enfants m’avaient toujours laissé dubitatif quant à leur évidence. Ce n’était pas ce gamin qui allait me donner des leçons.
Montre-moi ces autres dessins que tu caches dans ton grand carnet noir. Il se mit à feuilleter le carnet avec grande attention et pour chaque dessin ne m’épargna pas ses commentaires. Cet arbre là est bien discret, fondu dans le paysage. Je le sens rêveur. Il n’ose pas se montrer dans la lumière et se cache derrière ses voisins présomptueux. Leur orgueil est pour lui l’assurance de sa tranquillité. Vois comme il maîtrise ses branches pour gagner en humilité et survivre à proximité des géants. Celui-là, je l’aime bien pour tout ce qu’il ne dit qu’à demi mot.
Alors cet arbre là ne parle pas vraiment ? C’est vrai, celui-là il ne parle pas beaucoup mais tout est dit dans son allure. C’est bien compliqué tout ça, je ne comprends rien à ce que tu me racontes. Et ceux là, ils te parlent comment ? Ceux-là, chétifs et souples, pliant sous le poids de leur feuillage mouvant dans l’éclat du jour, jettent à tout moment des flash argentés comme un banc de sardines surexcité. Ils sont joyeux, plein de vie, de jeunesse. Ils cherchent à attirer le regard. C’est pour ça qu’ils sont si beaux. Et puis ceux-ci encore qui émergent de l’ombre pour profiter de l’air chaud, dessinent de leurs troncs rosés des arcs tendus à l’assaut de la lumière. Ce sont des aventuriers, des conquérants de terres vierges, de véritables colonisateurs. Tous les arbres réunis dans ton carnet de dessins ont tous une personnalité particulière. Observe leur peau rugueuse ou lustrée qui court de leurs racines au plus haut de leur faîte. Admire leur toison qui change de couleur au gré des saisons pour le simple plaisir d’embellir ta vie. Touche leur corps somptueux et équilibré qui les fait tenir sur une jambe même en pleine tempête.
Tu vois, au delà des apparences ils ont tous quelque chose à nous dire. Et ce n’est pas tant qu’ils aient réellement à nous parler que nous qui avons à les observer et à les comprendre. Tiens je vais te dessiner mon arbre préféré, me dit-il. De sa petite main, il effleura la feuille blanche par des mouvements circulaires. Il semblait caresser le papier et le dessin apparaissait comme par magie. Un sourire aux lèvres et satisfait de son œuvre il me tendit le cahier et disparut aussi secrètement qu’il était apparu.
Je restais là, à regarder son magnifique dessin. Un arbre de vie ! Il m’avait dessiné un joli arbre de vie. Sous mes yeux lunettés et stupéfaits, je vis le dessin de l’arbre s’animer et les branches avec ses feuilles se mettre à danser. Relevant la tête vers le paysage, je me mis à regarder l’arbre campé devant moi avec un œil neuf et interrogateur. Aujourd’hui encore, j’en suis à me demander si tout cela était bien réel. Dans mon carnet de dessin, l’arbre de vie qu’avait dessiné l’enfant a disparu, remplacé désormais par une simple page blanche.
Vous me direz, encore des peintures au carré ! Et oui, après les portraits, maintenant les paysages au carré. Cela veut-il dire que je tourne en rond ? Je dois avouer que ce format me plait particulièrement. C’est peut-être l’envie de sortir des formats conventionnels. Sans doute aussi compte tenu de ma fainéantise, un format carré m’en fait moins à peindre sur les côtés ! Mais non, je plaisante. Ce que je peux dire en tout cas, c’est que le format vertical pour un paysage (à la française) est un cadre qui ne m’inspire pas trop. Ce qui peut me séduire à la limite, ce sont les formats verticaux où le rapport largeur/hauteur serait très différencié. Mais les sujets de paysages susceptibles de se composer dans de tels formats sont un peu plus rares. Chinois et Japonais s’y sont confrontés merveilleusement. Je les laisse tout à leur art. Pour cette galerie, des sujets simples, habituels. Quelques arbres, un coin de champ ou de forêt lors de balades, un chemin, quelques ambiances saisies au lever du soleil en campagne. Voilà pour mon univers. Pour la technique, certains visuels sont réalisés à la gouache, d’autres à l’huile. Cherchez à les différencier si ça vous amuse.
Je t'aime pour toutes les femmes
Que je n'ai pas connues
Je t'aime pour tout le temps
Où je n'ai pas vécu
Pour l'odeur du grand large
Et l'odeur du pain chaud
Pour la neige qui fond
Pour les premières fleurs
Pour les animaux purs
Que l'homme n'effraie pas
Je t'aime pour aimer
Je t'aime pour toutes les femmes
Que je n'aime pas
Qui me reflète sinon toi-même
Je me vois si peu
Sans toi je ne vois rien
Qu'une étendue déserte
Entre autrefois et aujourd'hui
Il y a eu toutes ces morts
Que j'ai franchies
Sur de la paille
Je n'ai pas pu percer
Le mur de mon miroir
Il m'a fallu apprendre
Mot par mot la vie
Comme on oublie
Je t'aime pour ta sagesse
Qui n'est pas la mienne
Pour la santé je t'aime
Contre tout ce qui n'est qu'illusion
Pour ce cœur immortel
Que je ne détiens pas
Que tu crois être le doute
Et tu n'es que raison
Tu es le grand soleil
Qui me monte à la tête
Quand je suis sûr de moi
Quand je suis sûr de moi
Tu es le grand soleil
Qui me monte à la tête
Quand je suis sûr de moi
Quand je suis sûr de moi
Je t'aime (Paul Eluard)
Les “mugshots” ou photos d’identité judiciaire ne datent pas d’aujourd’hui et sont consécutives à l’invention de la photographie. Lors de la conquête de l’Ouest, Allan Pinkerton fut le premier à utiliser les portraits des bandits et autres délinquants sur les fameuses affiches “wanted”. La photo s’est avérée rapidement insuffisante pour décrire un individu. Elle ne définit que les aspects physiques à travers l’image. À la fin du XIXe siècle le français Alphonse Bertillon met au point l’identification anthropométrique. Elle vient accompagner, surtout compléter par une indexation exhaustive, les détails qui vont permettre de reconnaître une personne sans risque d’erreur, notamment le risque de méprise avec un sosie. Selon les pays, les époques, on trouve des mugshots de différentes factures. Souvent portrait face et profil. Parfois un portrait doublé d’une pose en pied en habits de ville. C’est à partir de ces fiches d’identité historiques (d’origine australienne) que j’ai réalisé ces portraits, pour la plupart en noir en blanc ou sépia. L’époque que j’ai retenue est comprise entre 1920 et 1930.
(Il existe aujourd’hui sur internet un véritable trafic crapuleux à propos des “mugshots”. Des sites ont référencé les fiches et photos de milliers de détenus ou de personnes ayant fait l’objet d’une simple identification policière. Ces sites réclament plusieurs centaines ou milliers de dollars lorsque l’intéressé souhaite faire disparaître son portrait d’internet. C’est un véritable chantage. À contrario, internet a aussi permis dans de nombreux cas de diffuser des informations susceptibles de résoudre des affaires criminelles.)
Sur l’estran désormais abandonné au vent et à la vague, les grains de sable glissent et effacent promesses et espoirs. Qu’emporte l’océan, des misères et des joies dans son tumulte par delà la ligne d’horizon vers un pays indécis aux nouvelles couleurs. Que chaque syllabe prononcée, que chaque mot calligraphié soient l’accomplissement d’un destin unique. Que les prophéties d’un jour meilleur émergent au point de l’aube et se renouvellent à chaque flux. Sur l’estran de nouvelles promesses sont inscrites, toujours. Elles naviguent enfourchant amoureusement la crête écumeuse de l’océan. Et parfois sur la roche, une vague dépose dans un fracas de neige les bribes de vœux encore tout frais. Alors que le soir pousse à l’ouest un soleil fatigué, les dernières lueurs font scintiller sur le sable tiède le ventre nacré de quelques coquillages.
(Peintures technique mixte : encre, acrylique, huile. Format 50×65 cm)
Bientôt la fin septembre, signe de mon retour en région parisienne et l’adieu aux paysages du Morbihan. Avec une connexion internet au débit aléatoire, j’ai dû mettre de côté une bonne partie de mes peintures que je livre aujourd’hui aux flux indiscipliné. Pour le coup, ça fait un nombre conséquent de peintures. Une bonne partie des séquences où la mer est présente ont été réalisées en dehors des mois les plus touristiques de l’été. Juillet et août rassemblèrent ici toute une société d’arthropodes. Plages envahies d’insectes à deux pattes, chenilles randonneuses sur le sentier des douaniers, mille pattes motorisés formant une cohorte malodorante à toutes les croisées. C’est comme d’habitude à ce moment là que je me tourne vers l’intérieur des terres, la campagne fraîche aux senteurs odorantes et naturelles. Je reste plus que jamais fidèle à la peinture en plein air pendant ces mois passés dans le Morbihan. Je maintiens au maximum des séances sur le motif d’une durée n’excédant pas deux heures et je réduis au maximum les reprises.
Que c’est une chose charmante De voir cet étang gracieux, Où, comme en un lit précieux, L’onde est toujours calme et dormante ! Mes yeux, contemplons de plus près Les inimitables portraits De ce miroir humide ; Voyons bien les charmes puissants Dont sa glace liquide Enchante et trompe tous les sens.
Déjà je vois sous ce rivage La terre jointe avec les cieux Faire un chaos délicieux Et de l’onde et de leur image. Je vois le grand astre du jour Rouler dans ce flottant séjour Le char de la lumière ; Et sans offenser de ses feux La fraîcheur coutumière, Dorer son cristal lumineux.
Je vois les tilleuls et les chênes, Ces géants de cent bras armés, Ainsi que d’eux-mêmes charmés, Y mirer leurs têtes hautaines ; Je vois aussi leurs grands rameaux Si bien tracer dedans les eaux Leur mobile peinture, Qu’on ne sait si l’onde, en tremblant, Fait trembler leur verdure, Ou plutôt l’air même et le vent. … L’étang de Jean Racine (Extrait)
Premières séances de peinture sur le motif en Bretagne. Renouer avec la réalité après plusieurs mois d’arrêt me demande toujours un certain échauffement. Au début tout me paraît compliqué, trop grand pour moi. Devant mes yeux le paysage se déroule en cinémascopeet j’ai bien du mal à sélectionner dans ce qui me semble être un grand fouillis, un sujet digne d’intérêt. Tant de verdure partout qui foisonne. Il faut que je me concentre sur un endroit. Comme point de départ je cherche souvent un arbre singulier ou dominant par sa forme, sa couleur, à partir duquel je vais composer ma peinture. L’arbre c’est ma béquille, mon homme de base en quelque sorte. Parce que je peignais sa maison, une femme m’invite à visiter son jardin afin d’y trouver des sujets à peindre. “Vous pouvez venir peindre quand vous voudrez !” me dit-elle.
Mais son jardin ne m’offre pas des points de vue intéressants. Des randonneurs quittent un moment leur circuit pour voir ce que je peins. Nous échangeons quelques propos sur l’art sans précautions particulières. Nous sommes tous vaccinés et nous goûtons une certaine liberté retrouvée. Sur le chemin qui mène à un champ cultivé, le propriétaire apparaît et me fait la conversation à propos de tout et de rien. Les jeunes qui passent en vélo me saluent sans ralentir. Trop pressés comme souvent. Le temps varie beaucoup en ce début mai. Ciel bleu, soleil, ciel gris, nuages, averses se succèdent. La météo s’amuse avec mes nerfs. Quelques gouttes déclenchent immédiatement le rangement du matériel. Par forte pluie un hangar ou une remise peut me sauver la vie. Rester, quitter les lieux, attendre, reprendre le pinceau. Je cultive l’hésitation. Comme toujours, je reste fidèle à une peinture peu finalisée, à l’aspect assez “brut” et je tente de ne pas passer plus de deux heures sur le sujet.
Autant que la couleur, le pinceau est un instrument très important dans la pratique de la peinture. J’ai toujours été attiré par les beaux pinceaux. Il existe une multitude de pinceaux différents pour toutes sortes de techniques. Pinceaux en poils naturels (martre, porc, écureuil, blaireau, chèvre, poney etc…) et de toutes formes (rond, plat, biseauté, effilé etc…). Aujourd’hui pour des raisons éthiques et économiques, les poils naturels sont remplacés peu à peu par les poils synthétiques. Toutes les marques proposent des pinceaux avec des poils synthétiques qui, sans posséder totalement toutes les qualités des poils naturels, ont l’avantage de ne pas exploiter les animaux et surtout sont beaucoup plus économiques. J’ai souvent été déçu de la qualité des pinceaux qui nous sont proposés en France. Trop mous, trop durs, s’usant très vite, trop chers pour les services rendus. Bref ! Je me suis mis à la recherche d’une marque qui répondrait mieux à mes souhaits. Après consultations de nombreuses vidéos, de la lecture d’essais et de témoignages d’utilisateurs, le nom de RoseMary & Coest apparu. J’ai toujours pensé (à tort) que commander mes pinceaux à l’étranger n’était pas pour moi, voire pouvait être ridicule, et que je pouvais me satisfaire largement de ce que je trouvais près de chez moi. Et puis, après avoir fait une visite sur le site de la marque et constaté l’offre technique et le prix des pinceaux, j’ai sauté le pas. Rosemary & Co c’est cette dame anglaise au pull couleur pistache qui a commencé il y a 35 ans à monter les pinceaux manuellement et à se faire peu à peu une renommée internationale. C’est sur une belle propriété du Yorkshire que la société, toujours artisanale et désormais familiale, fabrique toujours ses pinceaux entièrement à la main. Voici ce que dit Rosemary.
“En traitant directement avec les artistes, je suis en mesure de vous offrir exactement ce que vous voulez, en termes de qualité, de prix et de livraison. Je suis fière d’être une petite entreprise familiale, qui peut en même temps combiner une relation “à l’ancienne” à la conduite de mon entreprise. Je crois que c’est une force majeure et bien que le 21e siècle offre une technologie précieuse, je pense qu’il est important de se souvenir des courtoisies dans la vie, au jour le jour, entre les uns et les autres. Dans cet esprit, si vous ne trouvez pas ce que vous cherchez ou si vous avez besoin d’aide, de conseils pour votre sélection, il vous suffit de demander! Mon équipe et moi-même avons hâte d’être à votre service et je sais que mes pinceaux vous permettront d’exprimer au mieux tout votre talent artistique. Je m’efforce de proposer des produits de haute qualité à des prix compétitifs et si vous comparez mes pinceaux “à l’identique” aux grandes marques, nous pouvons souvent être 50 à 60% moins chers. Je crois que ma passion pour l’art se reflète dans la qualité des produits et services que j’offre. J’ai aimé et vécu l’art toute ma vie et donc l’art est mon mode de vie. Pour finir, beaucoup de mes clients ont apprécié et utilisé mes pinceaux pendant toute ma carrière et sont en effet devenus des amis (certains lointains et aussi loin que les États-Unis, l’Australie, le Canada, le Japon et la Nouvelle-Zélande). Pour leur amitié et leur soutien, je voudrais profiter de cette occasion pour leur dire dire merci.”
Il faut noter que dans le catalogue (gratuit et complet), tous les pinceaux sont photographiés et proposés à taille réelle. Pour commander, c’est un repère visuel essentiel qui permet de commander avec exactitude le pinceau voulu. On y trouve des formes de pinceaux inconnues chez nous. Certaines gammes, ont été mises au point par et pour des peintres et sont de ce fait originales et parfaitement adaptées aux exigences des artistes. Sur le site anglais, la commande peut se calculer directement en euros. La livraison est rapide et ne pose aucun problème. Je confirme que pour une qualité supérieure, les prix des pinceaux sont équivalents sinon inférieurs aux prix pratiqués en France. Désormais, mes pinceaux de qualité proviennent de chez Rosemary & Co pour ma plus grande satisfaction.
Comme d’habitude, Mme Klara emmena son petit garçon, cinq ans, au jardin public, au bord du fleuve. Il était environ trois heures. La saison n’était ni belle ni mauvaise, le soleil jouait à cache-cache et le vent soufflait de temps à autre, porté par le fleuve. On ne pouvait pas dire non plus de cet enfant qu’il était beau, au contraire, il était plutôt pitoyable même, maigrichon, souffreteux, blafard, presque vert, au point que ses camarades de jeu, pour se moquer de lui, l’appelaient Laitue. Mais d’habitude les enfants au teint pâle ont en compensation d’immenses yeux noirs qui illuminent leur visage exsangue et lui donnent une expression pathétique. Ce n’était pas le cas de Dolfi; il avait de petits yeux insignifiants qui vous regardaient sans aucune personnalité. Ce jour-là, le bambin surnommé Laitue avait un fusil tout neuf qui tirait même de petites cartouches, inoffensives bien sûr, mais c’était quand même un fusil ! Il ne se mit pas à jouer avec les autres enfants car d’ordinaire ils le tracassaient, alors il préférait rester tout seul dans son coin, même sans jouer. Parce que les animaux qui ignorent la souffrance de la solitude sont capables de s’amuser tout seuls, mais l’homme au contraire n’y arrive pas et s’il tente de le faire, bien vite une angoisse encore plus forte s’empare de lui. Pourtant quand les autres gamins passaient devant lui, Dolfi épaulait son fusil et faisait semblant de tirer, mais sans animosité, c’était plutôt une invitation, comme s’il avait voulu leur dire : – Tiens, tu vois, moi aussi aujourd’hui j’ai un fusil. Pourquoi est-ce que vous ne me demandez pas de jouer avec vous ? Les autres enfants éparpillés dans l’allée remarquèrent bien le nouveau fusil de Dolfi. C’était un jouet de quatre sous mais il était flambant neuf et puis il était différent des leurs et cela suffisait pour susciter leur curiosité et leur envie. L’un d’eux dit : – Hé ! vous autres !… vous avez vu la Laitue, le fusil qu’il a aujourd’hui ? Un autre dit : – La Laitue a apporté son fusil seulement pour nous le faire voir et nous faire bisquer1 mais il ne jouera pas avec nous. D’ailleurs il ne sait même pas jouer tout seul. La Laitue est un cochon. Et puis son fusil, c’est de la camelote ! – Il ne joue pas parce qu’il a peur de nous», dit un troisième. Et celui qui avait parlé avant : – Peut-être, mais n’empêche que c’est un dégoûtant ! Mme Klara était assise sur un banc, occupée à tricoter, et le soleil la nimbait d’un halo. Son petit garçon était assis, bêtement désœuvré, à côté d’elle, il n’osait pas se risquer dans l’allée avec son fusil et il le manipulait avec maladresse. Il était environ trois heures et dans les arbres de nombreux oiseaux inconnus faisaient un tapage invraisemblable, signe peut-être que le crépuscule approchait. – Allons, Dolfi, va jouer, l’encourageait Mme Klara, sans lever les yeux de son travail. – Jouer avec qui ? – Mais avec les autres petits garçons, voyons ! vous êtes tous amis, non ? – Non, on n’est pas amis, disait Dolfi. Quand je vais jouer ils se moquent de moi. – Tu dis cela parce qu’ils t’appellent Laitue ? – Je veux pas qu’ils m’appellent Laitue ! – Pourtant moi je trouve que c’est un joli nom. A ta place, je ne me fâcherais pas pour si peu. Mais lui, obstiné : – Je veux pas qu’on m’appelle Laitue !
Les autres enfants jouaient habituellement à la guerre et ce jour-là aussi. Dolfi avait tenté une fois de se joindre à eux, mais aussitôt ils l’avaient appelé Laitue et s’étaient mis à rire. Ils étaient presque tous blonds, lui au contraire était brun, avec une petite mèche qui lui retombait sur le front en virgule. Les autres avaient de bonnes grosses jambes, lui au contraire avait de vraies flûtes maigres et grêles. Les autres couraient et sautaient comme des lapins, lui, avec sa meilleure volonté, ne réussissait pas à les suivre. Ils avaient des fusils, des sabres, des frondes, des arcs, des sarbacanes, des casques. Le fils de l’ingénieur Weiss avait même une cuirasse brillante comme celle des hussards. Les autres, qui avaient pourtant le même âge que lui, connaissaient une quantité de gros mots très énergiques et il n’osait pas les répéter. Ils étaient forts et lui si faible. Mais cette fois lui aussi était venu avec un fusil. C’est alors qu’après avoir tenu conciliabules les autres garçons s’approchèrent : – Tu as un beau fusil, dit Max, le fils de l’ingénieur Weiss. Fais voir. Dolfi sans le lâcher laissa l’autre l’examiner. – Pas mal, reconnut Max avec l’autorité d’un expert. Il portait en bandoulière une carabine à air comprimé qui coûtait au moins vingt fois plus que le fusil. Dolfi en fut très flatté. – Avec ce fusil, toi aussi tu peux faire la guerre, dit Walter en baissant les paupières avec condescendance. – Mais oui, avec ce fusil, tu peux être capitaine, dit un troisième. Et Dolfi les regardait émerveillé. Ils ne l’avaient pas encore appelé Laitue. Il commença à s’enhardir. Alors ils lui expliquèrent comment ils allaient faire la guerre ce jour-là. Il y avait l’armée du général Max qui occupait la montagne et il y avait l’armée du général Walter qui tenterait de forcer le passage. Les montagnes étaient en réalité deux talus herbeux recouverts de buissons ; et le passage était constitué par une petite allée en pente. Dolfi fut affecté à l’armée de Walter avec le grade de capitaine. Et puis les deux formations se séparèrent, chacune allant préparer en secret ses propres plans de bataille. Pour la première fois, Dolfi se vit prendre au sérieux par les autres garçons. Walter lui confia une mission de grande responsabilité : il commanderait l’avant-garde. Ils lui donnèrent comme escorte deux bambins à l’air sournois armés de fronde et ils l’expédièrent en tête de l’armée, avec l’ordre de sonder le passage : Walter et les autres lui souriaient avec gentillesse. D’une façon presque excessive. Alors Dolfi se dirigea vers la petite allée qui descendait en pente rapide. Des deux côtés, les rives herbeuses avec leurs buissons. Il était clair que les ennemis, commandés par Max, avaient dû tendre une embuscade en se cachant derrière les arbres. Mais on n’apercevait rien de suspect. – Hé ! capitaine Dolfi, pars immédiatement à l’attaque, les autres n’ont sûrement pas encore eu le temps d’arriver, ordonna Walter sur un ton confidentiel. Aussitôt que tu es arrivé en bas, nous accourons et nous y soutenons leur assaut. Mais toi, cours, cours le plus vite que tu peux, on ne sait jamais… Dolfi se retourna pour le regarder. Il remarqua que tant Walter que ses autres compagnons d’armes avaient un étrange sourire. Il eut un instant d’hésitation. – Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il. – Allons, capitaine, à l’attaque ! intima le général. Au même moment, de l’autre côté du fleuve invisible, passa une fanfare militaire. Les palpitations émouvantes de la trompette pénétrèrent comme un flot de vie dans le cœur de Dolfi qui serra fièrement son ridicule petit fusil et se sentit appelé par la gloire. – A l’attaque, les enfants ! cria t-il, comme il n’aurait jamais eu le courage de le faire dans des conditions normales. Et il se jeta en courant dans la petite allée en pente. Au même moment un éclat de rire sauvage éclata derrière lui. Mais il n’eut pas le temps de se retourner. Il était déjà lancé et d’un seul coup il sentit son pied retenu. A dix centimètres du sol, ils avaient tendu une ficelle. Il s’étala de tout son long parterre, se cognant douloureusement le nez. Le fusil lui échappa des mains. Un tumulte de cris et de coups se mêla aux échos ardents de la fanfare. Il essaya de se relever mais les ennemis débouchèrent des buissons et le bombardèrent de terrifiantes balles d’argile pétrie avec de l’eau. Un de ces projectiles le frappa en plein sur l’oreille le faisant trébucher de nouveau. Alors ils sautèrent tous sur lui et le piétinèrent. Même Walter, son général, même ses compagnons d’armes ! – Tiens ! attrape, capitaine Laitue. Enfin il sentit que les autres s’enfuyaient, le son héroïque de la fanfare s’estompait au delà du fleuve. Secoué par des sanglots désespérés il chercha tout autour de lui son fusil. Il le ramassa. Ce n’était plus qu’un tronçon de métal tordu. Quelqu’un avait fait sauter le canon, il ne pouvait plus servir à rien. Avec cette douloureuse relique à la main, saignant du nez, les genoux couronnés, couvert de terre de la tête aux pieds, il alla retrouver sa maman dans l’allée. – Mon Dieu! Dolfi, qu’est-ce que tu as fait ?
Elle ne lui demandait pas ce que les autres lui avaient fait mais ce qu’il avait fait, lui. Instinctif dépit de la brave ménagère qui voit un vêtement complètement perdu. Mais il y avait aussi l’humiliation de la mère : quel pauvre homme deviendrait ce malheureux bambin ? Quelle misérable destinée l’attendait ? Pourquoi n’avait-elle pas mis au monde, elle aussi, un de ces garçons blonds et robustes qui couraient dans le jardin ? Pourquoi Dolfi restait-il si rachitique ? Pourquoi était-il toujours si pâle ? Pourquoi était-il si peu sympathique aux autres ? Pourquoi n’avait-il pas de sang dans les veines et se laissait-il toujours mener par les autres et conduire par le bout du nez ? Elle essaya d’imaginer son fils dans quinze, vingt ans. Elle aurait aimé se le représenter en uniforme, à la tête d’un escadron de cavalerie, ou donnant le bras à une superbe jeune fille, ou patron d’une belle boutique, ou officier de marine. Mais elle n’y arrivait pas. Elle le voyait toujours assis un porte-plume à la main, avec de grandes feuilles de papier devant lui, penché sur le banc de l’ école, penché sur la table de la maison, penché sur le bureau d’une étude poussiéreuse. Un bureaucrate, un petit homme terne. Il serait toujours un pauvre diable, vaincu par la vie. – Oh ! le pauvre petit ! s’apitoya une jeune femme élégante qui parlait avec Mme Klara. Et secouant la tête, elle caressa le visage défait de Dolfi. Le garçon leva les yeux, reconnaissant, il essaya de sourire, et une sorte de lumière éclaira un bref instant son visage pâle. Il y avait toute l’amère solitude d’une créature fragile, innocente, humiliée, sans défense; le désir désespéré d’un peu de consolation; un sentiment pur, douloureux et très beau qu’il était impossible de définir. Pendant un instant – et ce fut la dernière fois -, il fut un petit garçon doux, tendre et malheureux, qui ne comprenait pas et demandait au monde environnant un peu de bonté. Mais ce ne fut qu’un instant. – Allons, Dolfi, viens te changer ! fit la mère en colère, et elle le traîna énergiquement, à la maison. Alors le bambin se remit à sangloter à cœur fendre, son visage devint subitement laid, un rictus dur lui plissa la bouche. – Oh ! ces enfants! quelles histoires ils font pour un rien ! S’exclama l’autre dame agacée en les quittant. Allons, au revoir, madame Hitler !