Incertitudes

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Lorsqu’on parle “d’incertitude”, c’est souvent face à notre avenir. En pensant à notre futur qu’il soit proche ou lointain. C’est la grande incertitude née de l’incroyable complexité du monde, de sa phénoménale puissance indomptée. Il serait temps alors que l’on se rende compte que nous ne sommes pas des “dieux” sur terre. Ni attendus, ni élus.
La grande incertitude, génère de l’angoisse mais aussi du plaisir, comme celui que l’on peut éprouver en s’avançant vers l’inconnu. La certitude s’affirme souvent par des preuves, des faits établis, vérifiés, approuvés. La certitude serait en quelque sorte liée à la vérité. À contrario, l’incertitude serait-elle alors l’expression du mensonge. L’un n’est pas le pendant de l’autre. Si l’incertitude est liée au doute, ce dernier ne serait-il pas un équilibre instable entre la vérité qu’on souhaite et une réalité que l’on imagine ambiguë.
Je laisse tous les philosophes et tous les penseurs épiloguer sur le sujet plus efficacement que je ne peux le faire.


Pour ma part, je m’intéresse d’avantage aux “incertitudes”, à ces petites interrogations qui peuvent se poser chaque jour à ma réflexion et qui sont après tout sans aucune importance, et passent dans leur grande majorité totalement inaperçues. J’aime lorsque l’interrupteur fait “clic-clac” et que l’ampoule s’éclaire et s’éteint. Là, c’est clair ! Mais je n’ai jamais su lequel du clic ou du clac allumait et éteignait. Vous comprenez qu’après une petite réflexion, que dis-je un petit moment d’arrêt sur soi-même, la certitude fait place à l’incertitude et bien des questions se posent. Que se passe t’il exactement entre le clic et le clac ? La lumière est ou n’est pas ? De même une balle qui n’atteint pas son but, à quel moment infléchi t’elle sa ligne pour tomber ? Qu’en est-il lorsqu’on dit que le verre est à moitié plein ou à moitié vide. On peut penser que l’optimiste le voit à moitié plein et le pessimiste à moitié vide. Mais les rôles peuvent s’inverser. Le pessimiste peut se réjouir qu’il n’a jamais été aussi proche de le remplir. Et l’optimiste songer tristement que son verre sera bientôt vide. Finalement, on n’y comprend plus rien. On est perturbé. Chemin faisant, devant vous se dresse un bloc sombre, une barrière d’improbables ténèbres. L’heure passant, de ce magma indistinct émergent prairies verdoyantes, vallons aux sources claires, falaises pourpres et mordorées. Votre vision vous aurait-elle trompé. Peut-on faire confiance à sa vision alors que le temps évolue incessamment. Doit-on douter de sa capacité à représenter le monde dans sa réalité puisque celui-ci est en mouvement permanent.


Ce qui m’intrigue le plus, c’est par exemple ce moment de la journée que l’on nomme “entre chien et loup”. Je n’ai jamais compris à quel moment sortait le loup et se cachait le chien. Le savez-vous ? J’ai là quelques images qui sont à cette distance du clair et du sombre. Précisément à l’endroit même où ne peut pas se situer un interrupteur. Sommes nous à l’aube, au couchant ? Quelqu’un a dit “il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée”. Mais non voyons ! Une porte entrouverte est si prometteuse, si propice à l’imagination, et à quelques fantasmes aussi. Une peinture entre chien et loup, c’est la représentation d’un moment qui ne saurait basculer vers la lumière ou l’obscurité. C’est un mélange de signes visibles, distincts, de connaissance et de confusion mêlées. Je ne certifie rien des sujets, de leur moment, de leur heure, ou de leur lieu, encore moins de leur crédibilité. Ces peintures sont tout simplement le reflet de mes petites incertitudes.

Nous essayons de nous entourer d’un maximum de certitudes, mais vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille…
Edgar Morin.

Bois et campagnes

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J’ai toujours beaucoup de courage pour peindre le matin et beaucoup moins le soir. Je n’ai pas grand mérite car j’ai tendance à me lever naturellement vers 6h. En quelque sorte une horloge programmée en tête. Être en place au lever du jour me procure bien des plaisirs. Une belle lumière, mais surtout ici, dans la campagne morbihannaise, la rencontre presque quotidienne avec quelques chevreuils. En revenant plusieurs fois au même endroit je me suis rendu compte que ces derniers s’habituaient à ma présence. Les champs de blé n’étaient pas encore moissonnés et les chevrettes accompagnées de leurs faons gitaient en leur plus grande hauteur. Les premiers jours au bruit de mes pas, les mères détalaient en sauts gracieux, froissant les blés, abandonnant les petits déjà convaincus que l’immobilité et le silence étaient leur seule chance de survie.
Puis, jour après jour à mon passage, elles relevaient uniquement la tête pour estimer le danger. Je voyais alors juste leurs oreilles et leurs grands yeux noirs émerger d’une mer d’épis dorés. Sans doute existait-il une certaine reconnaissance pour qu’elles ne fuient pas. Je leur parlais doucement chaque fois que je passais. Leur demandant comment elles allaient, n’espérant bien entendu aucune réponse. Mais l’absence de fuite était déjà un joli signe de confiance et un beau contact.

Et puis, un jour, ma peinture finie et déjà sur le retour, le long du champ de blé j’aperçois deux faons au loin, jouer sur le chemin. Je tente le tout pour le tout. Je connais la légendaire curiosité des chevreuils. Je me mets alors à les siffler très doucement comme lorsqu’on appelle son animal familier. Et les voilà tout à coup interrompant leur jeu, m’aperçoivent et gambadent vers moi à toute allure. Le premier arrive à quelques mètres et saute soudainement dans le champ de blé. L’autre me vient dessus et s’arrête à portée de main. Il me regarde quelques instants et comprenant son erreur, disparaît lui aussi d’un bond désordonné  dans les blés. Quelle émotion ! Je suis resté un bon moment comme absent. Avec un vide inexplicable. Ma plus belle rencontre depuis bien longtemps.Toujours lors de mes peintures matinales, il y a eu aussi le chevreuil venu manger à quelques mètres de mon chevalet. Et moi immobile, caché derrière ma boite de couleurs, pendant un temps infini pour qu’il ne détecte pas ma présence. Il était si proche que je l’entendais mâcher les herbes et autres plantes que ces beaux mammifères sélectionnent avec gourmandise.
Et puis tant d’autres chevreuils et chevrettes traversant prudemment l’espace découvert d’un bois, d’une prairie sans me deviner ni me sentir. Tout un monde sauvage et libre qui malgré des territoires de plus en plus segmentés par l’homme continuent à vivre pour mon plus grand étonnement et plaisir, en silence et en toute discrétion.

Passion sauvage

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Âmes sensibles passez votre chemin ! Aujourd’hui, ça va être brutal ! Du sang, du bruit, de la fureur et plus rarement des larmes. Les combats de coqs produisent des images aussi fantastiques qu’impressionnantes de violence.

Il est évident que ces combats (savamment préparés), s’ils produisent des images fantastiques pour un photographe ou vidéaste, n’en demeurent pas moins une pratique contestable et très contestée. L’attrait du mouvement, de la couleur, de la dynamique générale et peut-être aussi de l’aspect du drame sous-jacent qui se joue dans ces affrontements de plumes, de becs et d’ergots ne peuvent que provoquer de l’intérêt pour un peintre.
En dehors de l’aspect “esthétique” reflété par l’image, j’ai voulu en savoir un peu plus sur cette pratique que certains qualifient de “loisirs”, d’autres de “spectacle” ou encore de “sport” à dimension sociale. Je pensais que les combats de coqs étaient interdits en France. Il n’en est rien. Tout comme la tauromachie, il existe des exceptions dans certaines régions où elle est considérée comme une tradition locale ininterrompue (Hauts de France et Outre-mer). La France fait partie des 27 pays dans le monde à autoriser les combats de coqs et reste un des 3 derniers pays européens à tolérer cette pratique.

Les coqs ont une tendance naturelle à se battre. Profitant de ce fait inné, l’éleveur sélectionne les oiseaux les plus agressifs, les plus forts, les plus endurants afin d’obtenir une vraie “bête” de combat. Génération après génération, le “coqueleur” conserve les poussins mâles et 2 à 3 femelles de la couvée de manière à forcer l’accouplement entre les meilleurs individus. Après l’éclosion, les poussins mâles sont séparés plus ou moins tôt. Vers 5 mois les animaux commencent à devenir dangereux et sont séparés de la volière commune. Chaque coq est isolé dans son propre enclos ce qui les rend très agressifs. Bien souvent il reçoit une alimentation particulière, car il est considéré comme un sportif de haut niveau. Comme tout athlète, son entrainement peut commencer.

Dans le nord de la France, la préparation physique débute par de la course et des exercices de musculation, suivie par des combats d’entraînement avec les ergots protégés pour éviter les blessures. Le premier combat d’entraînement commence en général vers 8 mois. Il a pour but de savoir si le sujet est assez combatif pour poursuivre une carrière complète. Pour le premier combat officiel, leur crête est coupée ainsi que les ergots, remplacés par un aiguillon tranchant qui peut atteindre 5 cm.
Les “coqueleux” mettent les coqs face à face, les excitent de la voix et du geste et les lâchent dans le “gallodrome” au milieu des cris des parieurs. La rixe à mort est limitée à 6 minutes. Une fois le combat terminé, le perdant est cuisiné et consommé.

Chaque pays dispose de coutumes, d’usages différents. Certaines pratiques sont plus que suspectes et peuvent être qualifiées d’actes sadiques.
Pour la préparation du coq antillais par exemple, son dos est déplumé, le ventre et les cuisses, la peau est badigeonnée de tafia (rhum de seconde qualité) et exposée au soleil. Elle se durcit, devient rouge vif et forme une carapace dure et insensible. Tout est fait pour éviter la perte de sang qui affaiblirait l’animal durant le combat. Les rémiges (grandes plumes de l’aile) sont taillées. Les caroncules (excroissances charnues et rouges qui se voient au front, à la gorge, aux sourcils des oiseaux) sont coupées. La crête est rasée pour ne pas laisser de prises à l’adversaire. Enfin, les ergots sont sectionnés dès les 12 à 14 mois. Il existe également des moyens biochimiques (injection d’hormones mâles) ou le recours à des coqs domestiques comme victimes lors des entraînements, afin d’affûter l’agressivité des coqs.
Les combats de coqs étant d’une barbarie extrême, l’Association Stéphane LAMART s’y oppose fermement, au même titre que les combats de chiens, qui sont pour leur part interdits en France mais pratiqués parfois clandestinement.

Voilà un bref aperçu de cette “exploitation animale” qui peut en choquer plus d’un. Pour ma part si j’apprécie l’intérêt des documentaires que ces combats de coqs peuvent produire à titre d’information, et l’impact saisissant des photos, j’avoue ne pas militer pour défendre cette “pratique” qui me paraît totalement en dehors de notre temps.

Pêle-mêle

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Un ensemble de peintures des mois de mars et d’avril tout en bloc. Principalement sur le Morbihan. Quelques personnages discrets, minuscules silhouettes déambulent dans le paysage. Un peu perdus sans doute. Prendront t’ils plus de place dans l’avenir ? Avant tout ce travail sur les ciels. Ces ciels qui se font et se défont continuellement, comme une marée de vagues. Si neufs et si anciens dans le même temps.
(Dommage que le format du blog ne permette pas la publication de reproductions plus grandes.)

Merci

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Oui, merci à toutes celles et à tous ceux qui par fidélité ou simple intérêt suivent mon blog. Amis forcément indulgents, inconnus simplement abonnés, silencieux mais bien présents (et qui ne m’adresseront sans doute jamais le moindre commentaire), j’apprécie votre présence à tous qui ensoleille mes journées et rejette au loin l’indifférence. À l’instar de cette petite goutte de rosée qui s’accroche à son fragile support et qui n’existera plus demain, les relations virtuelles sont fragiles et peuvent être éphémères. Même si elles ne sont pas parfaites, “moins bien est mieux que rien”. Merci de rester éveillés tous ensembles, curieux et à l’écoute des autres. Il est dit que l’art est un petit radeau contre la bêtise. Souhaitons que cet art soit surtout un gage de paix et d’intelligence entre les individus et les peuples.
Serge San Juan.

Plumes noires

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On ne les aime pas trop ces oiseaux plutôt noirs au chant un peu rauque. Corneilles et corbeaux sont mal vus dans les campagnes. Les jeunes semis, le maïs, le tournesol, le soja, etc…sont des cultures régulièrement attaquées. La corneille est chassée, piégée et de fait elle nous le rend bien en étant très farouche. Le corbeau à l’inverse est bien plus sociable et peut se rapprocher des habitations. La corneille est souvent confondue avec le corbeau…de même, elle n’est pas la femelle du corbeau. Ces oiseaux sont d’une intelligence remarquable et savent utiliser des outils dans certaines occasions (cailloux, branches). Les corvidés ont très bien compris que nos poubelles sont de fantastiques réserves de nourriture. Les corneilles savent reconnaître l’alimentation à travers les sacs transparents. Ces sacs transparents se trouvant la plupart du temps éventrés, l’utilisation de poubelles en plastique rigide est fortement recommandée.
En période de reproduction, les corneilles peuvent défendre avec acharnement leur progéniture par des vols d’intimidation, des coups de becs ou de pattes. Gare à vous !

Quel est donc le lien entre les corneilles et le fait de bailler ? Contrairement à ce que l’on pense, l’expression s’écrit “bayer aux corneilles”, et ça change un peu les choses. Mais on peut se montrer indulgent envers celui qui confond les orthographes.
Au XVIe siècle, le terme “corneille” s’est étendu en désignant un objet insignifiant, sans importance. “Voler pour corneille” exprimait le fait de chasser un gibier sans valeur. Cet usage du mot “corneille” renforce l’image de futilité que nous associons aujourd’hui à “bayer aux corneilles”. Bayer est une variante de “béer” qui signifie “avoir la bouche ouverte”. Selon le sens des différents termes qui constituent cette expression, nous pourrions ainsi la traduire par “rester la bouche ouverte devant une chose sans intérêt”.

D’azur et de cendres

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Enfant, par les belles journées d’été, dans ma campagne Normande, je m’allongeais dans l’herbe tiède la tête tournée vers le ciel. Et là, par la force de mon désir ou peut-être par le hazard des turbulences atmosphériques, de l’azur naissait soudainement d’audacieux nuages. En groupe ou en solitaire, ils traversaient mon champ de vision sans se presser, me livrant leur fantasmagorique imagerie. Toutes sortes d’animaux défilaient ainsi sous mes yeux se formant, se déformant, s’effilochant comme la barbe à papa. Bien souvent, des figures burlesques m’apparaissaient, celles avec une grosse tête, un gros nez ou de grandes oreilles. D’autres silhouettes plus menaçantes, cachées parmi d’innocents nuages, germaient sournoisement. Mesquines, elles se déformaient devenant géantes et, tutoyant la voûte céleste assombrissaient soudainement le jour. Alors, la nature toute entière s’immobilisait, les arbres ne bruissaient plus, et sur ma peau d’enfant, un frisson de peur dressait mon duvet. Mais, la lumière revenait et la vie un moment perturbée, reprenait son souffle tendre et doux.

Aujourd’hui, je ne m’allonge plus dans l’herbe. Non qu’il n’y ait plus de nuages, le ciel en est tant et tant chargé. Mais il y a quelque chose dans leur forme et leur couleur qui ne m’inspire plus confiance. Sans doute ai-je perdu en vieillissant cette part d’enfance et d’imagination qui faisaient se dessiner sous mes yeux innocents un monde féerique et joyeux. Le ciel s’est obscurci en même temps que mon esprit. Du fond de l’horizon, pourtant pas si distant, de lourds et pestilentiels cumulus chargés de rancœur se sont formés alors que j’étais aveugle. Aveugle, comme un enfant fermant les yeux pour occulter le danger qui arrive. Des poussières noires et poisseuses ont envahi l’espace libre. Des arcs électriques ont embrasé les nuages, résonnant sous leur ventre douloureux. Les jours et les nuits se sont chargés de mercures et de poisons sulfurés brûlant l’oxygène, étouffant la vie en tout endroit. Sous le masque impassible de l’infâme, couvait le feu vengeur de la guerre et roulaient depuis longtemps les tambours d’un ordre nouveau. Les foudres sont lancées dans un ciel d’obsidienne. Les nuages liquéfiés, pleurent du sang sur le pauvre sort des hommes.

L’immensité bleue a fait place aux ténèbres et aux sombres desseins. Des lueurs de feu transpercent les nuages, frappent en cohortes meurtrières les enfants qui ; hier encore regardant de leurs yeux grands ouverts, l’azur et ses nuages candides, attendaient des signes d’avenir et des promesses de bonheur. Pendant ce temps, une poignée de fous avaient déjà décidé de réduire en cendres à jamais leurs rêves les plus éblouissants.
L’ordre de la nature a toujours fait fi des querelles humaines et les crimes même impunis n’ont jamais empêché l’aube de renaître. Tôt ou tard, le ciel retrouvera ses couleurs et son harmonie resplendira de plus belle. Il le faudra bien !

L’ombre

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Chaque soir, me couchant et fermant les yeux, je me demande à quel moment il va me rejoindre et perturber mon sommeil. Il apparaît sournoisement dans ma nuit et aucun signe, aucun acte particulier dans ma journée ne saurait provoquer ou prévenir son arrivée. Lui, c’est l’être de l’ombre, celui qui me visite de façon improbable, qui tente de me happer et de m’entraîner dans son antre profonde et froide. Dans mon repos silencieux, il glisse sur mes rêves, il avance prudemment mais irrémédiablement se rapproche monstrueux. Je sens son haleine humide, l’odeur de moisi et de poussière de ses effets recouvrant son corps hideux.

Quel long voyage a t’il parcouru et pendant combien de siècles a t’il survolé les nuits des hommes, tourmentant leurs songes, transformant leurs espoirs en cauchemars. Pour l’instant je suis plongé dans un abîme de bitume. Des amis sans nom et sans visage me précèdent. Ils avancent doucement sur une pente vers une pièce au loin, très éclairée. J’ai beau me dépêcher pour les rejoindre, chaque pas que je fais me retarde sur leur avancée. J’avance tout en reculant. Devenus silhouettes dans la lumière, ils referment doucement une porte dont le filet de lumière se projette dans l’espace charbonneux. La lame étincelante perd peu à peu de son intensité. Dans un claquement sec de pêne, la porte se referme et m’emmure dans le néant. Alors, il s’approche. Je le devine naître doucement des ténèbres. Il ne bouge presque pas, se mouvant comme le brouillard coule dans une vallée, oppressant et figeant chaque chose et chaque être. Je ressens pourtant la force de son désir. Il me veut. Il est là pour moi.

Et les autres là-bas qui ne remarquent pas mon absence. Je les appelle doucement de peur de déclencher la fureur du monstre. Et rien ne se passe. Je crie de plus en plus fort, jusqu’à hurler alors toute mon épouvante. Je vois de mes propres yeux, ma bouche béante articuler jusqu’à la distorsion toute ma souffrance ressentie. Mais, aucun son ne parvient à mes oreilles. J’étouffe dans des sanglots d’impuissance ! Le monstre se rapproche, ses membres gainés de suie me frôlent comme un avertissement. Il va me saisir, m’envelopper dans sa gangue noire, me transformer en exuvie qui contraindra mes os. De toute ma puissance, dans une douleur ultime, j’expulse mon dernier cri !
On me pousse on me secoue, j’entends parler, comme dans un ailleurs. Du bruit, soudain une lumière s’allume puis s’éteint ; et je me rendors !
Le monstre de la nuit s’est évanoui je le sais, mais il en rôde toujours un autre quelque part de l’aube au crépuscule qui me suit pas à pas. Je ne suis jamais sûr de ne pas le voir réapparaître dès que je baisse la garde. Il est partout, tout le temps depuis tous les temps.
Et hier, je l’ai encore vu !

Un arbre

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Sorti de l’ombre d’un chemin, un enfant à la chevelure bohème s’est installé à mes côtés.
Dessine moi un arbre me dit-il, après un grand silence.
Un arbre ? Tu ne préfères pas que je te dessine un mouton ? Je croyais que tous les enfants préférais les moutons.
Moi, je n’aime pas beaucoup les moutons. Ils bêlent tout le temps, ils sentent le suint et foncent n’importe où sans réfléchir quand ils ont peur.
J’avais envie de lui faire plaisir et me mis tout de suite à l’œuvre.
Tiens, voilà ton arbre. Bien grand, avec de grosses branches fortes et noueuses comme des bras de géant et coiffé d’une belle chevelure verte à son sommet.
Pas mal du tout, mais ton arbre est-ce qu’il parle ?
Je n’ai jamais entendu un arbre parler, lui dis-je.
Même dans ta tête ?
Euh non ! Bien franchement.

Pourtant regarde et écoute celui-ci avec sa branche cassée comme il geint lorsque le souffle venu de la mer secoue son membre estropié.
J’ai beau tendre l’oreille, je n’entends rien.
Tu n’entends rien peut-être parce que tes oreilles sont devenues insensibles au malheur. Sais-tu aussi qu’on entend mieux avec un bon regard. Tu as peut-être aussi besoin d’une bonne paire de lunettes.
Je ne savais pas quoi lui répondre. À vrai dire les réflexions des enfants m’avaient toujours laissé dubitatif quant à leur évidence. Ce n’était pas ce gamin qui allait me donner des leçons.

Montre-moi ces autres dessins que tu caches dans ton grand carnet noir. Il se mit à feuilleter le carnet avec grande attention et pour chaque dessin ne m’épargna pas ses commentaires.
Cet arbre là est bien discret, fondu dans le paysage. Je le sens rêveur. Il n’ose pas se montrer dans la lumière et se cache derrière ses voisins présomptueux. Leur orgueil est pour lui l’assurance de sa tranquillité. Vois comme il maîtrise ses branches pour gagner en humilité et survivre à proximité des géants. Celui-là, je l’aime bien pour tout ce qu’il ne dit qu’à demi mot.

Alors cet arbre là ne parle pas vraiment ?
C’est vrai, celui-là il ne parle pas beaucoup mais tout est dit dans son allure.
C’est bien compliqué tout ça, je ne comprends rien à ce que tu me racontes. Et ceux là, ils te parlent comment ?
Ceux-là, chétifs et souples, pliant sous le poids de leur feuillage mouvant dans l’éclat du jour, jettent à tout moment des flash argentés comme un banc de sardines surexcité. Ils sont joyeux, plein de vie, de jeunesse. Ils cherchent à attirer le regard. C’est pour ça qu’ils sont si beaux. Et puis ceux-ci encore qui émergent de l’ombre pour profiter de l’air chaud, dessinent de leurs troncs rosés des arcs tendus à l’assaut de la lumière. Ce sont des aventuriers, des conquérants de terres vierges, de véritables colonisateurs. Tous les arbres réunis dans ton carnet de dessins ont tous une personnalité particulière. Observe leur peau rugueuse ou lustrée qui court de leurs racines au plus haut de leur faîte. Admire leur toison qui change de couleur au gré des saisons pour le simple plaisir d’embellir ta vie. Touche leur corps somptueux et équilibré qui les fait tenir sur une jambe même en pleine tempête.

Tu vois, au delà des apparences ils ont tous quelque chose à nous dire. Et ce n’est pas tant qu’ils aient réellement à nous parler que nous qui avons à les observer et à les comprendre.
Tiens je vais te dessiner mon arbre préféré, me dit-il.
De sa petite main, il effleura la feuille blanche par des mouvements circulaires. Il semblait caresser le papier et le dessin apparaissait comme par magie. Un sourire aux lèvres et satisfait de son œuvre il me tendit le cahier et disparut aussi secrètement qu’il était apparu.

Je restais là, à regarder son magnifique dessin. Un arbre de vie ! Il m’avait dessiné un joli arbre de vie. Sous mes yeux lunettés et stupéfaits, je vis le dessin de l’arbre s’animer et les branches avec ses feuilles se mettre à danser.
Relevant la tête vers le paysage, je me mis à regarder l’arbre campé devant moi avec un œil neuf et interrogateur.
Aujourd’hui encore, j’en suis à me demander si tout cela était bien réel. Dans mon carnet de dessin, l’arbre de vie qu’avait dessiné l’enfant a disparu, remplacé désormais par une simple page blanche.

Hommes

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Etre modèle et poser pour les peintres, est devenu un vrai métier. Un métier où la concurrence est grande. S’il fallait auparavant avoir un peu de culot et se présenter à la porte de n’importe quelle académie pour décrocher des séances de pose, c’est beaucoup moins vrai aujourd’hui. Il ne suffit plus d’avoir une esthétique harmonieuse ou un corps digne d’intérêt. Il faut aussi savoir poser. Dans les ateliers de dessin, on demande au modèle de se mouvoir dans l’espace, de savoir se placer dans la lumière, de se camper par rapport au public. De la pose statique aux poses en mouvement, le modèle se doit de proposer une collection complète d’attitudes qu’il adaptera en fonction de la durée des poses (entre 2 et 45 mn). De nombreux modèles calquent leur répertoire de poses à partir des peintures de maîtres. Il n’est pas rare d’avoir une attitude de Saint Sébastien peint par Andréa Mantegna, ou de celle de l’Odalisque immortalisée par François Boucher. On n’imagine pas réellement la difficulté physique de ne plus bouger avec les bras levés, les jambes repliées dans une position inconfortable. Le corps supporte alors de grandes tensions musculaires. Et malgré tout, cela ne suffit pas pour que s’ouvrent en grand les portes des ateliers. Il doit se créer quelque chose entre l’artiste et son modèle. Une relation particulière qui créera une alchimie dynamique. Un très beau modèle mais indifférent à son espace, ignorant du public à ses pieds sera la plupart du temps écarté au profit d’un modèle plus participatif. Un modèle aux poses paresseuses ou atones a souvent une mauvaise influence sur le résultat d’un dessin. Et puis chacun possède ses propres critères en matière de physique avec lesquels il se sent motivé. La femme a été depuis toujours la source privilégiée des peintres mais aujourd’hui je mets en avant des dessins d’hommes.

(Croquis à l’aquarelle temps de pose n’excédant pas 10 minutes)