Horoscope

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J’ai toujours été totalement incompatible avec les lectures prévisionnelles des “oracles, numérologues, astrologues ou autres charlatans consultant cartes ou boules de cristal”. Mais je dois aujourd’hui reconnaître mon erreur et adhérer avec une réelle conviction aux dernières prévisions astrologiques. Protégez-vous bien.

À l’heure du J12

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De ma fenêtre, j’ai vue sur une petite rue en sens unique dédiée autant à la circulation des voitures qu’aux cyclistes. Cette voie est à certaines heures très passagère car elle donne accès d’une part à l’église et à l’entrée de la forêt et d’autre part à un modeste centre commercial. Le matin assez tôt et en fin d’après-midi, ce sont les sportifs, cyclistes et joggers que je vois passer en direction de la forêt. Vers dix heures, les cabas et chariots sont les plus nombreux sur les trottoirs à se diriger vers le centre commercial. Au cours de la journée tout un petit monde défile d’un côté et de l’autre en toute tranquillité. En général, le week-end quand il fait beau, beaucoup de promeneurs déambulent avec les enfants. C’est la promenade rituelle, le petit tour dans les bois. Et puis la messe du dimanche matin a aussi ses habitués. Les fidèles se remarquent tout de suite à la manière dont ils portent des tenues peu appropriées à la balade en forêt. Je n’oublie pas bien entendu les sorties du chien plusieurs fois dans la journée. Depuis des années cette circulation de personnages m’est assez familière et je finis par connaître un certain nombre de visages. Sans qu’ils le sachent, ils sont devenus une ponctuation dans ma journée.

J’ai pu me réjouir à une certaine époque de ces passages quotidiens qui distrayaient mon assiduité devant l’ordinateur ou le chevalet. Depuis lundi 16 mars, premier jour du confinement général, j’ai vu la rue perdre peu à peu son effervescence, abandonner au vide et au silence tout l’espace public. Et c’est quand même étrange d’éprouver aujourd’hui autant de plaisir devant ce vide urbain et de l’estimer comme un bienfait. Je constate avec soulagement que la civilité commence à se développer un peu partout dans la cité (sauf sans doute en Seine St Denis ou persistent des foyers de brutalité et d’insolence et aussi auprès des joggers véritablement shootés aux endorphines). Car on le sait maintenant, la propagation de ce virus ne se répand qu’au gré de nos propres déplacements. 

On exaltait la proximité, la relation à l’autre aussi physique que possible et l’on rejetait au diable toute cette technique du virtuel, susceptible de nous déshumaniser. Aujourd’hui, on installe “Skype et Messenger” partout pour se parler, pour se voir. Le confinement ça sauve” les vieux, les plus fragiles”de l’infection virale et en même temps, ça les isole de leur famille. L’informatique avec les réseaux sociaux, recrée les liens absents ou nécessaires, facilite les échanges, redonne de l’utilité et de la considération à cet univers tant décrié. Je reste dans bien des cas très critique quant à ces réseaux sociaux tout en reconnaissant que dans certaines circonstances ils ont leur rôle à jouer et possèdent une certaine efficacité. Mais pour l’heure, je dois m’habituer à ce que ma rue soit devenue terriblement vide.
(Je mentionne J12 car j’ai commencé ma retraite le 12 mars)

À l’heure du J5

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Les machines ne m’obéissent plus.
Je me suis dit aujourd’hui que ça serait assez amusant de raconter quelques faits et gestes d’un condamné comme tant d’autres à l’isolement.

Alors ce matin, après mon petit déjeuner et après mon documentaire à la télé (oui, je me regarde tous les matins, en craquant mes biscottes, un documentaire en replay), j’ai voulu me faire un café avec cette machine bruyante qui crache son jus avec tant de difficulté qu’on la croirait atteinte de cystite. Ah ! Pas assez d’eau dans le réservoir. Qu’à cela ne tienne, je soulève le couvercle du réservoir et muni d’une tasse pleine d’eau, je balance le liquide dans le récipient transparent…juste au moment ou le couvercle se referme ! Et vlan, toute l’eau éclabousse la cafetière, le plan de travail et cette maudite machine se met à clignoter rouge. J’éteins la cafetière. Dans le réservoir pas une goutte d’eau. J’éponge mes dégâts avant de remplir le réservoir d’eau à ras bord. Cette fois ça va gazer. Je rallume la machine qui se remet au rouge. Bon, il faut faire quelque chose. Y a urgence. J’éteins la cafetière et j’essaie de décrocher le réservoir d’eau…plein. Il résiste, mieux que ça, il se défend et ne veut pas quitter le corps de sa petite maman. On va voir qui est le plus fort ! Je tire et tord en même temps le bazar qui se détache de la cafetière et valdingue je ne sais où.
Merde ! Merde et merde ! Un litre d’eau éclabousse tout le plan de travail. Le liquide s’étale avec horreur partout, recouvre la plaque de cuisson, inonde les tiroirs, détruit entièrement le sopalin, et distribue une gerbe d’eau dans la cuisine. Merde ! Merde et merde ! Je le redis car je l’ai dit plusieurs fois pendant au moins 5 bonnes minutes pendant que j’épongeais avec du sopalin…mouillé.
Un quart d’heure après, tout est rentré dans l’ordre. La cuisine nickel chrome. Il est temps – enfin – de se faire un petit café bien mérité. Clic ! Rien ! Pas de voyant qui clignote ! La cafetière ne s’allume plus ! J’enlève le réservoir que j’avais de nouveau rempli, je vide l’eau. Je retourne la cafetière et la secoue….(vous savez comme on fait parfois avec le grille pain pour faire sortir les miettes du fond). Non, elle est bien sèche. Pas en court circuit apparemment. Au cas où, j’actionne la lumière de la cuisine. Pas de lumière, pas de jus ! Je vérifie le disjoncteur de l’appartement qui a bien entendu disjoncté. C’est fait pour ça. Je remets en route et rien ne se rallume. C’est moi qui vais disjoncter. Je cherche dans l’escalier mon compteur “Linky”. Je ne sais pas trop lequel c’est…il y en a 8, autant que de propriétaires. Linky a beau être intelligent, il ne me parle pas beaucoup. J’appuie sur des boutons, auxquels je ne comprends rien. Des chiffres des mots incohérents s’affichent. Je referme le panneau de l’armoire électrique discrètement…Au cas où j’ai tout déréglé chez les voisins. Vaut mieux ne pas me faire remarquer.
Ma femme tente de contacter le service Enedis afin que quelqu’un vérifie si notre compteur fonctionne bien. Pas d’internet pour chercher un numéro de dépannage. Et évidemment, plus de ligne téléphonique fixe…et notre téléphone mobile a cette particularité de bloquer l’accès au clavier dès qu’on est en communication. Faites le 1, puis faites étoile, puis faites le 3 si c’est…etc etc…Impossible de faire les numéros. Pas facile avec ce confinement de trouver quelqu’un à l’autre bout du fil.
On fait le bilan. Impossible de joindre quelqu’un pour un dépannage. Nous n’avons plus de chauffage, de lumière, tous nos appareils sont électriques. On a le frigo plein, mais on ne peut rien faire cuire ou réchauffer. Nous sommes condamnés à mourir de faim. Non, je plaisante ! Mais essayez d’imaginer chez vous une panne définitive, sachant que personne ne viendra vous dépanner et que vous ne pouvez même pas aller chez Castorama acheter une pièce. Bon finalement mon épouse tombe sur le service dépannage Énedis. Après interrogation à distance, le “compteur intelligent” n’est pas en cause. Une charmante dame nous guide façon tutoriel (sans vidéo bien entendu) pour les manipulations à faire sur notre compteur d’appartement. Ma femme me répète chaque mot de la “dépanneuse” et moi, juché sur une chaise devant le tableau de bord, j’appuie, j’enclenche, je déclenche. Je fais sans réfléchir ce qui m’est “ordonné”…et ça finit par marcher.
Détection faite, c’est la plaque de cuisson qui est en court-circuit. Bon et après allez vous me dire ? Et bien après, j’ai coupé le courant, désencastré la plaque de cuisson, défait tout un bazar de fils de toutes les couleurs (j’ai fait des croquis pour tout rebrancher correctement). C’est mon côté dessinateur qui ressort. Avec un sèche cheveux j’ai séché tous les contacts, nettoyé les boutons, et tutti quanti. Et ça remarche parfaitement bien. Même mieux qu’avant ! J’exagère, mais ça c’est mon auto-satisfaction qui parle.
J’y ai passé toute la matinée, j’en ai sué un tee-shirt entier et après ça, pensez-vous que j’ai encore le temps de vous écrire des histoires !
Ah, confiné, on a le temps de rien faire.

L’absence

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Le tableau que tu aimais tant dans la chambre et que tu redressais chaque fois d’un doigt léger, est désormais tout de travers. Il s’abandonne à la pesanteur, tout comme moi. De guingois nous sommes. Ton absence a créé un si grand vide. J’ai l’impression que l’air de la maison tout entier est parti avec toi. Le réveil bleu marque bien l’heure, mais chaque jour qui passe me semble durer plus qu’il ne doit. Dans les placards j’ai commencé à faire du vide. Tu sais combien j’ai horreur de m’encombrer de l’inutile. Surtout pour les vêtements. Je me souviens bien du nombre de fois où nous nous sommes accrochés sur ce sujet. Tu avais honte parfois de m’accompagner tant ma tenue insouciante choquait ton sens de l’ordre et du conventionnel. Pour te taquiner, je te disais toujours de marcher devant moi comme si tu ne me connaissais pas. Sans répondant, tu enrageais et ça me faisait bien rire. Je t’ai sans doute semblé imperméable, insensible à beaucoup de petites choses qui te touchaient tant. Comme s’il n’y avait que “l’exceptionnel, le grandiose” qui pouvaient me séduire et qui méritaient d’être vécus. Mais vois-tu, j’ai gardé malgré tout tes broches, toutes tes petites breloques – comme tu disais – avec lesquelles les enfants jouaient lorsqu’ils venaient à la maison. Ils joueront encore un peu avec…le temps de grandir. Puis les années passant, ils ne viendront plus et les breloques se terniront au fond du tiroir. J’ai gardé ton livre précieusement. Le dernier que tu n’as pu finir. Il est marqué d’un coin de page repliée là où ton regard s’est posé la dernière fois. Prudente, tu avais aussi glissé un marque page que je t’avais offert. Je n’ai pas eu le courage de lire les mots de cette page cornée. Je ne veux pas savoir les secrets que tu as pu emporter au delà de moi. Ton absence, c’est surtout ce silence qui envahit chaque pièce de la maison, qui étouffe les bruits et même mes pas que je ne reconnais plus. Je ne retrouve plus ma place au milieu des objets. Sans toi tout me paraît hostile. Avant nous étions deux à leur tenir tête…aux choses…au monde. Nous étions deux, même dans les moments de silence à occuper l’espace. Dans le quotidien morne d’aujourd’hui, je ne suis plus qu’un inconnu dans ma propre maison, un orphelin du jour et de la nuit. 

Je t’en veux – mais si tendrement – d’être partie sans m’attendre.

Le blanc et le jaune

L’union c’est la farce

Au début, tout ce jaune ça brillait un peu comme un beau soleil, comme une grande fraternité qui n’avait plus existé depuis bien longtemps. Voilà, on allait enfin s’aimer, s’aider, partager comme des frères et des sœurs trop longtemps éloignés les uns des autres. On allait marcher ensemble pour réclamer notre part de bonheur. Ils allaient voir – ces nantis – ce que c’est qu’un peuple en colère ! On allait leur dire aux politicards comment on survit dans les provinces de la France profonde. Baisser la tête sans rien dire, c’est fini messieurs les élites. Chacun se reconnaissait dans son voisin, mêmes inquiétudes à propos de l’avenir, mêmes galères éprouvées. Un seul récit de vie ressemblait à tous les autres. C’était l’expression d’une voix unanime, universelle, populaire. Il y avait du bien, du bon, de la générosité dans toutes ces expressions du peuple des périphéries. Les fourberies des politiques et des récupérateurs de tous poils étaient décryptées promptement et inévitablement remises en cause. Les idées fusaient dictées par l’expérience. Il émanait des premiers jours, une intelligence qui faisait force de vie et d’espoir.

Et puis…et puis, comme un être humain n’est jamais un tout parfaitement pur, le peuple a produit aussi son purin. Sont apparues avec violence les scories identitaires, de l’ultra gauche comme celles de l’extrême droite, sans oublier tout simplement une cohorte de casseurs qui, on le sait, ont autant de réflexion et d’idéologie qu’une éponge privée d’eau. Les maux des uns sont toujours consécutifs à la présence des autres. On parle de parole libérée, mais j’entends surtout des vociférations, des insultes à tout va. Sous prétexte de solidarité a un mouvement populaire, ce sont les populistes homophobes, sexistes, racistes, antisémites qui viennent polluer un mouvement qui se veut avant tout social. Les barbares occupent la rue afin de créer le chaos. Ceux qui ont la rancœur au cœur, la lâcheté chevillée au corps, profitent de l’anonymat du nombre pour déverser leur haine. Tous unis, mais unis à qui ?

Tête de Turc

J’ai le sentiment de ne plus être vraiment quelque part, de ne plus habiter là ou je suis. Ce matin chose étrange, devant la glace je me suis observé sous toutes les coutures avec une précision quasi obsessionnelle. Je me suis examiné trait après trait, afin de savoir si je n’avais pas une tête anormale. Je finis par douter ! Avec tout ce qui se passe, tout ce que l’on voit et qu’on entend on devient vite paranoïaque. Pour un rien, on peut se transformer en “tête de Turc”. On ne se reconnaît plus entre amis. Le jaune devient une couleur “mot de passe” qu’il faut revêtir pour tourner en rond. Afficher sa différence, c’est montrer une “gueule”  (un état) incompatible avec le sens du courant. Il ne fait pas bon porter une étiquette politique ou idéologique. Certains se retrouvent abreuvés d’insultes, les murs de leur maison tagués d’une haine inouïe, quand ce ne sont pas des attaques physiques ou tout simplement l’intimidation par le feu. J’essaie de me rassurer en me disant que finalement ma tête est assez quelconque. C’est ça que je veux, être n’importe qui, me fondre dans le monde d’en bas. Pas trop de signes physiques ou ostentatoires qui me différencieraient de façon excessive. Tout de même, c’est paradoxal qu’un mouvement qui réclame plus de justice sociale et qui prône la liberté de parole, impose une si grande intolérance à la moindre tête qui dépasse. Une pratique révocatoire à propos de certaines personnes, ou idées ne cacherait-elle pas un léger goût pour l’exclusion sociale, ethnique ou religieuse. L’idée qui laisse à penser que la physionomie de l’individu permet d’en déduire sa personnalité compte encore beaucoup de supporters. Nous serions comme un livre ouvert sur nos origines et sur notre être le plus intime. Je pensais que la “morphopsychologie” avait montré ses limites et ses dangers, surtout utilisée de manière caricaturale par des gens peu informés ou malfaisants. L’histoire en témoigne. 

Brouillon de culture

Désormais je fais aussi très attention à mon langage. J’utilise des mots simples, de mots pas trop recherchés ou trop élaborés. Je m’évertue à parler en ponctuant de temps en temps mes phrases avec un mot choquant…histoire de montrer ma détermination (c’est viril d’être un peu fruste) et surtout je ne veux pas qu’on me confonde avec l’élite. C’est très mal vu de faire partie de l’élite ou des nantis. La culture serait très mauvaise pour la démocratie. J’ai lu sur les réseaux sociaux des messages remettant en cause l’éducation nationale. L’éducation nationale favoriserait la servitude des enfants vis à vis du pays. Étudier, devenir un bon élève serait une manœuvre du gouvernement pour domestiquer les cerveaux. Enseigner serait donc une bonne méthode (un complot, il faut le dire) pour produire de bons soldats au service du grand capital ou d’un certain mondialisme. C’est vrai, on n’est jamais aussi bien informé que par les réseaux sociaux. Maintenant, je sais que la terre est vraiment plate, que les attentats de Nice et de Strasbourg n’en étaient pas et que les vaccins ne servent à rien, voire sont dangereux pour la santé. Mais de cela, il ne faut pas parler car il y a une collusion entre les laboratoires et le gouvernement. Et sachez le des sociétés secrètes dirigent le monde. Mais chut…nous sommes écoutés !

La beauté de la guerre

Le 30 mai 1917 

Léonie chérie
J’ai confié cette dernière lettre à des mains amies en espérant qu’elle t’arrive un jour afin que tu saches la vérité et parce que je veux aujourd’hui témoigner de l’horreur de cette guerre. 
Quand nous sommes arrivés ici, la plaine était magnifique. Aujourd’hui, les rives de l’Aisne ressemblent au pays de la mort. La terre est bouleversée, brûlée. Le paysage n’est plus que champ de ruines. Nous sommes dans les tranchées de première ligne. En plus des balles, des bombes, des barbelés, c’est la guerre des mines avec la perspective de sauter à tout moment. Nous sommes sales, nos frusques sont en lambeaux. Nous pataugeons dans la boue, une boue de glaise, épaisse, collante dont il est impossible de se débarrasser. Les tranchées s’écroulent sous les obus et mettent à jour des corps, des ossements et des crânes, l’odeur est pestilentielle.

Tout manque : l’eau, les latrines, la soupe. Nous sommes mal ravitaillés, la galetouse est bien vide ! Un seul repas de nuit et qui arrive froid à cause de la longueur des boyaux à parcourir. Nous n’avons même plus de sèches pour nous réconforter parfois encore un peu de jus et une rasade de casse-pattes pour nous réchauffer.
Nous partons au combat l’épingle à chapeau au fusil. Il est difficile de se mouvoir, coiffés d’un casque en tôle d’acier lourd et incommode mais qui protège des ricochets et encombrés de tout l’attirail contre les gaz asphyxiants. Nous avons participé à des offensives à outrance qui ont toutes échoué sur des montagnes de cadavres. Ces incessants combats nous ont laissé exténués et désespérés. Les malheureux estropiés que le monde va regarder d’un air dédaigneux à leur retour, auront-ils seulement droit à la petite croix de guerre pour les dédommager d’un bras, d’une jambe en moins ? Cette guerre nous apparaît à tous comme une infâme et inutile boucherie.

Le 16 avril, le général Nivelle a lancé une nouvelle attaque au Chemin des Dames. Ce fut un échec, un désastre ! Partout des morts ! Lorsque j’avançais les sentiments n’existaient plus, la peur, l’amour, plus rien n’avait de sens. Il importait juste d’aller de l’avant, de courir, de tirer et partout les soldats tombaient en hurlant de douleur. Les pentes d’accès boisées, étaient rudes .Perdu dans le brouillard, le fusil à l’épaule j’errais, la sueur dégoulinant dans mon dos. Le champ de bataille me donnait la nausée. Un vrai charnier s’étendait à mes pieds. J’ai descendu la butte en enjambant les corps désarticulés, une haine terrible s’emparant de moi.
Cet assaut a semé le trouble chez tous les poilus et forcé notre désillusion. Depuis, on ne supporte plus les sacrifices inutiles, les mensonges de l’état major. Tous les combattants désespèrent de l’existence, beaucoup ont déserté et personne ne veut plus marcher. Des tracts circulent pour nous inciter à déposer les armes. La semaine dernière, le régiment entier n’a pas voulu sortir une nouvelle fois de la tranchée, nous avons refusé de continuer à attaquer mais pas de défendre.

Alors, nos officiers ont été chargés de nous juger. J’ai été condamné à passer en conseil de guerre exceptionnel, sans aucun recours possible. La sentence est tombée : je vais être fusillé pour l’exemple, demain, avec six de mes camarades, pour refus d’obtempérer. En nous exécutant, nos supérieurs ont pour objectif d’aider les combattants à retrouver le goût de l’obéissance, je ne crois pas qu’ils y parviendront.

Comprendras-tu Léonie chérie que je ne suis pas coupable mais victime d’une justice expéditive ? Je vais finir dans la fosse commune des morts honteux, oubliés de l’histoire. Je ne mourrai pas au front mais les yeux bandés, à l’aube, agenouillé devant le peloton d’exécution. Je regrette tant ma Léonie la douleur et la honte que ma triste fin va t’infliger.
C’est si difficile de savoir que je ne te reverrai plus et que ma fille grandira sans moi. Concevoir cette enfant avant mon départ au combat était une si douce et si jolie folie mais aujourd’hui, vous laisser seules toutes les deux me brise le cœur. Je vous demande pardon mes anges de vous abandonner.
Promets-moi mon amour de taire à ma petite Jeanne les circonstances exactes de ma disparition. Dis-lui que son père est tombé en héros sur le champ de bataille, parle-lui de la bravoure et la vaillance des soldats et si un jour, la mémoire des poilus fusillés pour l’exemple est réhabilitée, mais je n’y crois guère, alors seulement, et si tu le juges nécessaire, montre-lui cette lettre.

Ne doutez jamais toutes les deux de mon honneur et de mon courage car la France nous a trahi et la France va nous sacrifier.
Promets-moi aussi ma douce Léonie, lorsque le temps aura lissé ta douleur, de ne pas renoncer à être heureuse, de continuer à sourire à la vie, ma mort sera ainsi moins cruelle. Je vous souhaite à toutes les deux, mes petites femmes, tout le bonheur que vous méritez et que je ne pourrai pas vous donner. Je vous embrasse, le cœur au bord des larmes. Vos merveilleux visages, gravés dans ma mémoire, seront mon dernier réconfort avant la fin.

 Eugène ton mari qui t’aime tant.

 

 

 

 

 

 

 

 

Fontaine de Vaucluse

Fontaine de Vaucluse est une petite commune non loin d’Avignon, assez calme pour ne pas dire relativement triste en dehors de la période estivale. Il n’y a pas grand chose à y faire. Et les quelques ruelles et vieilles maisons du village, ne valent pas une petite étoile dans un guide touristique. Suite aux deux ou trois visites que j’ai pu y faire il ne m’est à aucun moment venu l’idée d’y séjourner au-delà de quelques heures.

Non, ce qui suscite l’intérêt ici, c’est son gouffre impressionnant au pied d’une falaise de 240 mètres de haut, au creux d’une vallée close appelée “Villa Clausa” en latin qui donna son nom en 1793 au département du Vaucluse. C’est au fond de cette vallée étroite et cadenassée que jaillit la source de la Sorgue. Elle est la plus puissante “exurgence” de France et la cinquième au monde avec un écoulement total de 630 millions de m3 par an.

La source de la Sorgue est le produit monstrueux d’un immense réseau souterrain. Les eaux jaillissantes proviennent de l’infiltration des eaux de pluie et de la fonte des neiges du Mont Ventoux, des Monts de Vaucluse, du plateau d’Albion et de la Montagne de Lure.
Le gouffre quant à lui, est un siphon qui descend très loin dans les entrailles de la Terre. Il a été exploré pour la première fois en 1878, par un scaphandrier marseillais, Mr Ottonello, qui atteint -23m de profondeur dans son scaphandre lourd. L’équipe du commandant Cousteau aussi se mesurera au gouffre en 1946 : première plongée en scaphandre autonome, il atteint -46m de profondeur. L’exploration la plus profonde à ce jour est celle de 1985 avec -308m de profondeur grâce à un sous-marin téléguidé. On ignore toujours aujourd’hui ce qui existe au delà de cette profondeur.

Entre 2001 et 2003, sous couvert de prospections archéologiques, la Société Spéléologique de Fontaine de Vaucluse explore la cavité avec le Spélénaute de -40 à -80 mètres. Ces plongées livrent à la découverte 400 pièces antiques et près de 1600 pièces datées pour les plus anciennes de -80 ans avant JC et fin du 5ème siècle pour les plus récentes. Cela atteste de la fréquentation du site depuis l’Antiquité et confirme que la source recevait des offrandes lors du culte de l’eau cher aux Romains.
En plein été, la visite de l’exurgence est profondément décevante. Après une petite marche en montée le long de la rivière ombragée (bordée de boutiques souvenirs et accompagnée d’odeurs de friture), on arrive devant un grand trou, un genre de caverne où stagne plusieurs mètres plus bas, une eau sombre, pas très propre.
Tout autour, un monde minéral, des arbres morts aux racines incrustées dans la pierre offre un spectacle d’un autre monde. On pourrait s’attendre à voir surgir de ce trou, identifié comme un anus de la terre, un monstre noir et visqueux qui emporterait en ses profondeurs tous les petits touristes aux tee-shirts bariolés que nous sommes. Et voilà, on reste là, un peu songeurs, sans savoir quoi faire. Mais, où est t’elle l’eau turquoise des photos, le lagon bleu des mers du sud ? Elle coule où cette source tant fantasmée ? Ma foi, si l’envie vous prend de connaître la force démesurée de la cinquième source au monde, il vous faudra revenir au printemps lorsque la Sorgue surgit souveraine et surpuissante, débordant de sa vasque en cascade blanche sur les rochers.

En ces mois de sécheresse, la visite du moulin à papier, en bord de rivière ne vous consolera pas du gouffre à sec. Vous y verrez sous les yeux étonnés des touristes, quelques roues en mouvement, mues par un maigre filet d’eau. Pour le reste aucune visite n’est programmée, aucune explication ne vous sera donnée. Une balustrade en surplomb de l’atelier vous conduit directement à la boutique de la papèterie où les prix prohibitifs, ne vous inciterons pas à rapporter à la famille (ou à un aimable voisin, celui qui garde votre adorable chien), un petit souvenir. En revenant vers le centre du village, une galerie dont la plupart des artisans ont déserté les boutiques ne retiendra pas non plus très longtemps votre attention. Finalement, le gouffre de la Sorgue, vous aura provoqué comme un petit creux (sans jeu de mot) et le bon réflexe avant de quitter Fontaine de Vaucluse sera de vous installer à un bar panoramique, un verre à la main tout en contemplant la Sorgue passer silencieusement.

La Sorgue en crue (Novembre 2011)
Une vidéo YouTube.

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Trognes

Ce matin pendant ma randonnée, longeant une parcelle de forêt aux fougères rougissantes, je me sentis imperceptiblement suivi du regard. On m’observait en silence. De part et d’autre du chemin qui se resserra brusquement, je perçus des êtres immobiles aux visages outragés par le temps. Attentif, bienveillant avec ces corps pourtant rigidifiés, une complicité discrète s’instaura entre nous. Chacun désireux de me confier son histoire, j’allais de l’un à l’autre empathique pour leur tirer le portrait. Que pouvais-je faire d’autre sinon vous transmettre par l’image un peu de leur vie de gardiens solitaires…

Le Tréport

Pendant les chaudes journées qui voient le thermomètre rougir inexorablement dès le point du jour, je n’ai qu’une envie, fuir vers une de ces contrées qui inspirent la fraîcheur. Je rêve de l’Écosse et de ses brouillards enveloppants, de l’Islande, et même plus, de Norvège avec son Spitzberg, des confins d’Ushuaïa que sais-je moi…
Finalement, un petit tour à la mer pour y trouver un peu d’air du large devrait suffire à me ressourcer. Tant pis pour le Spitzberg, ça sera direction Le Tréport à 200 km environ.
Ça commence mal. À peine quitté le parking et au bout de 5 minutes de route, embouteillage monstrueux en raison des travaux d’été. Je ne comprends pas pourquoi les travaux débutent toujours au début de l’été. Entre les vacanciers qui vont d’un point à un autre et ceux qui continuent de travailler, la circulation est nettement aussi importante que pendant le reste de l’année. Une demi-heure à piaffer cul à cul, dans la puanteur des gaz d’échappements. Des milliers de véhicules s’étirent sur des centaines et des centaines de mètres en lançant ici et là des éclats brillants de tôles déjà surchauffées.

L’arrivée de la diligence au Tréport. Jules Achille Noël (1878)

Le voyage se mérite et s’exfiltrer le matin de la zone nerveuse et susceptible qui ceinture la région parisienne n’est pas une mince affaire.
Il faut aborder Le Tréport par la petite route touristique D126, qui domine la mer et dessert d’une part de vastes parkings ainsi que l’accès au funiculaire. De l’esplanade qui surplombe la ville, la vue est absolument superbe et sous nos yeux, se dessine avec précision les maisons comprimées du vieux quartier des Cordiers. Une ville miniature apparaît ourlée d’émeraude. Au fond, les falaises de Mers-Les-Bains se dressent dans le léger voile atmosphérique. À droite, la vallée de la Bresle s’enfonce doucement à l’intérieur des terres agricoles. Indifférents à notre présence, les goélands accompagnent leur vol planant par des raillements sonores et incessants.


De manière incongrue, une balustrade ornée de deux vasques s’ouvre sur un ciel gigantesque. Au XIX ème siècle s’imposait là un luxueux hôtel qui comptait parmi les plus beaux palaces de France. Avec ses centaines de chambres, il accueillait Français et Anglais argentés. L’un des propriétaires de cet hôtel eut l’initiative de la construction du funiculaire (1908) qui permit à ses clients une liaison facile avec la ville. Hôpital militaire pendant la guerre 14-18, l’édifice prestigieux allait finir en décombres, dynamité par les Allemands en 1942. L’escalier d’entrée, rescapé du désastre et restauré par la ville demeure un modeste souvenir d’un glorieux passé touristique.

Tout proche (outre l’éternel débit de boissons) le bâtiment du funiculaire. Vous ne me croirez pas…il est gratuit ! La descente dure une minute et vous n’aurez pas le grand frisson tant la mécanique vous transporte en douceur. Monter et descendre est un jeu d’enfant. Un bouton pour appeler, un pour monter, un pour descendre. Quatre cellules effectuent la navette sans discontinuer. Garer sa voiture en haut des falaises et visiter la ville à pied est d’un confort absolument appréciable.

Le Tréport n’offre pas la plus belle plage de la côte d’Albâtre. Le gris est la couleur dominante. Les galets sont partout présents et crissent à la moindre vaguelette. Le front de mer se découvre pratiquement au pied du funiculaire. De celui-ci au phare, il est quelconque, cimenté, accompagné d’une barre d’immeuble des années 60/70 qui marque la ville d’une empreinte modeste.
Il faut passer le Casino pour trouver face au port, quai François 1er, les façades serrées et chatoyantes abritant de nombreuses échoppes et restaurants. Quelques touristes jouent leur rôle et nous allons aussi nous fondre parmi eux.

C’est là sur le port que se prépare le petit voyage en mer, qui nous mènera au pied des hautes falaises crayeuses de Mers-Les-Bains. Tout au loin Ault et au delà encore, la passe qui s’ouvre sur la baie de Somme. Nous faisons le plein de couleurs, de fraîcheur marine et de gasoil par la même occasion. Le retour sur le pavé à l’heure où le soleil est à la verticale, nous entraîne invariablement vers les restaurants aux terrasses largement ouvertes.

Une petite pause s’appréciera tout naturellement autour d’un déjeuner de plats de poissons. On peut toujours espérer en bord de mer et dans un port y déguster un poisson meilleur qu’ailleurs. Incertitude !
Dominant le port et la ville, l’église Saint-Jacques se dresse puissante sur un emplacement choisi dès le XI ème siècle.

Les ruelles montantes, nous mènent tranquillement vers l’édifice. Il est bâti sur les ruines de l’ancienne église paroissiale et le cimetière, effondrés au cours de la tempête de 1360. L’église est reconstruite, mais cette fois ce sont les Anglais et les Huguenots qui rasent le bâtiment. La troisième fois est la bonne, dans la deuxième moitié du XVI ème siècle, l’église Saint-Jacques s’installe définitivement sur le coteau. Le monument est typique de la région avec ses façades en damiers de grès sombre et de silex qui lui donnent une apparence un peu particulière.

À l’intérieur, une belle lumière exalte les 3 nefs en pierre de taille, de grès et de silex. Comme par enchantement un rayon dessine dans l’espace un bouquet de fleurs blanches en une offrande silencieuse.

Le porche du clocher, tour carrée qui protège l’entrée des vents venus de la mer, découpe dans son embrasure le port et l’immensité du ciel tout en transformant la moindre silhouette en théâtre d’ombres.
Notre promenade se traîne gentiment dans les ruelles du quartier des Cordiers. Lové au pied des falaises, ce quartier s’est construit au début du XVIII ème siècle. Les marins trop modestes financièrement pour se payer des filets, pratiquaient la pêche avec de longues cordes garnies d’hameçons et de vers de mer. D’où ce nom de Cordiers. Les rues sont étroites, parallèles comme pour couper l’action des mauvais vents.

Les petites maisons sont toutes étagées et décorées de balcons, de bow-windows, de statues et de motifs marins. Certaines entrées sont décorées de carreaux de céramique en faïence ou en grès et portent des noms amusants ou familiers. À l’emplacement même de ce quartier, Hitler souhaitait commencer l’édification du mur de l’Atlantique.

Avec le même flegme mécanique, le funiculaire nous remonte sans à coup sur le plateau calcaire où nous retrouvons notre voiture à l’intérieur chauffé à blanc. La climatisation nous accompagnera pendant les 2 h 30 du trajet retour. Malgré mes précautions pour ne pas subir l’embouteillage du matin, et modifiant l’itinéraire, nous rencontrerons tout de même un bouchon dû aux travaux. Des 25° affichés au Tréport, le retour en région parisienne se soldera par une température au delà des 35°.

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L’Euro de football

eurofoot

À quelques fréquences électromagnétiques de notre belle Europe, les barbares de l’état islamique, doivent bien se marrer. Je suis sûr, qu’en faisant fi des préceptes de Mahomet, ils doivent, comme chez nous, se vautrer sur un vieux canapé en compagnie de quelques bières et, savourer le spectacle que nous sommes en train de donner en tant que “civilisation évoluée”.

Et oui ! Pas besoin de venir foutre le “bordel” chez nous, on a aussi nos barbares du football qui le font assez bien. On a les “cons” que l’on peut. Quelle belle image de tolérance, de paix, d’empathie donnent ces ignares qui s’affrontent à l’occasion de l’Euro de foot. À croire que ce sport est le creuset des plus notoires crétins que notre société est capable de produire. Je me demande encore qui ce sport peut faire rêver. À part les enfants, qui sont trompés par les belles images des héros de pacotille que les écrans diffusent et par les médias au discours fallacieux qui tentent par tous les moyens de se récupérer une manne confortable en capitalisant sur les scores d’audimat. Comment peut-on espérer une fraternité sereine avec cet Euro de foot, incapables que nous sommes d’apprécier nos différences. Chacun tirant la couverture à soi dans une Europe de plus en plus bienveillante aux intonations d’un nationalisme nauséabond. Et même les politiques s’y mettent en essayant de nous faire oublier leur présence de plus en plus illégitime et leur incurie de gouvernance. Comment nous faire avaler de force l’idée que tout va aller bien pendant et même mieux après. La magie du foot va rendre un peuple amnésique pendant un mois (exactement trente et un jours de bonheur virtuel). “Panem et circenses”, du pain et des jeux. Est-ce un projet d’avenir pour notre société que de s’aveugler précisément à travers ce “jeu de dupes”. Après chaque exaction perpétrée par des “bêtes humaines”, j’entends les mêmes commentaires que les “officiels” nous assènent, qu’ils viennent de la politique ou des instances du sport :
— Ceux qui se livrent à de tels ces actes, ne sont pas dignes d’appartenir au monde du football…et bla bla bla !

Il faut admettre une fois pour toutes que les brutalités et les heurts entre supporters sont inhérents au milieu du football. Et toutes ces belles déclarations “d’encravatés”, mille fois entendues, mille fois propulsées dans un vide sidéral, ne sont suivies d’aucun effet et aucune solution réellement efficace n’a été mise en place. Sport populaire emblématique s’il en est, le football comme tous les sports, génère sa propre dramaturgie. Si je peux en apprécier les différentes phases techniques, je dois reconnaître que j’ai peu de considération pour la majorité de ses acteurs (comédiens). J’aime le sport, et de plus en plus celui que l’on pratique en bas de chez soi, dans le bois d’en face ou dans le petit gymnase au coin de la rue. Je m’en voudrais de supporter de manière inconditionnelle une quelconque équipe en sachant que derrière tout ça, un peu comme lorsqu’on nous envoie à la guerre, c’est toujours pour le plus grand profit de quelques spéculateurs.

Trop, c’est trop !